On goudronne bien la Sainte-Baume
Ils se sont faits bien « concerter » les habitants de Signes, voisins et amoureux du massif montagneux de la Sainte-Baume, situé entre Var et Bouches-du-Rhône ! En novembre 2014, la société Braja Vesigne (1), dont le siège social est à Orange (84), dépose à la préfecture un dossier en vue d’installer une usine « d’enrobage de granulats » – du bitume pour faire simple – sur la petite commune de Signes (83), au pied de la Sainte-Baume. L’entreprise, qui veut fermer son usine vieillissante de la Seyne-sur-Mer (83), souhaite s’installer sur la plate-forme utilisée par le spécialiste français du béton, Lafarge, autorisé depuis 2008 à exploiter une carrière de granulats.
L’usine en question est répertoriée ICPE (Installation classée pour l’environnement) et peut donc présenter des risques. Mieux, la commune de Signes est incluse dans le périmètre du futur Parc naturel régional (PNR) de la Sainte-Baume, qui pourrait voir le jour en 2017. Est donc logiquement organisée une enquête publique par la préfecture du Var. Dans ses conclusions, rendues le 8 janvier 2016, le commissaire enquêteur, qui souligne – en gras dans le texte – « la très forte mobilisation du public », exprime un avis défavorable au projet. Camouflet pour la préfecture et la Dreal (2) Paca, l’autorité environnementale régionale qui, dans son avis du 10 août 2015, avait donné son aval. Qu’à cela ne tienne, en septembre 2016, la préfecture accorde pourtant l’autorisation d’exploiter à Braja Vesigne.
Rien à faire dans un parc naturel
Cet arrêté étonne. D’abord les habitants, qui se sont finalement constitués en collectif au mois de janvier, pour faire annuler ce projet qui n’a pour eux aucune raison d’être dans un parc censé protéger l’environnement. « Nous devrions être reçus en préfecture très bientôt. L’objectif de l’association, qui compte environ 300 personnes, est de déposer un recours au tribunal administratif si nous n’obtenons pas gain de cause », explique Yves Reynard, un agriculteur très remonté vivant à un kilomètre du site et l’un des animateurs de l’association Signes environnement. Les arguments des opposants sont nombreux et bien résumés dans une motion adoptée par le syndicat mixte de préfiguration du PNR en novembre 2015 (3).
Le document pointe d’abord une sous-évaluation du risque de pollution de l’eau, du risque d’incendie et des éventuelles conséquences d’une telle usine sur le tourisme : en cause la pollution visuelle et olfactive qu’elle générerait et le passage d’au moins 40 camions par jour dans la commune de Signes. Aucune mention par l’exploitant de rejets dangereux comme le dioxyde d’azote, le dioxyde de soude, le benzène… La liste des arguments est longue.
Contactée, la préfecture du Var s’est fendue d’une réponse par mail, dans un langage administratif dont seul l’Etat a le secret. Pour résumer, elle présente les avantages d’une telle installation : proximité avec la matière première (il faudra toutefois faire venir d’autres produits, d’où la circulation de camions, ndlr) sur un site industriel proche des axes routiers déjà en activité et en dehors de toute zone urbanisée. Enfin, cette usine a été jugée pertinente sur le plan juridique, respecterait le plan local d’urbanisme et collerait avec l’objectif d’un PNR, à savoir concilier développement économique et préservation de l’environnement.
Un massif sous pression
Au-delà de ce dossier, d’autres associations s’inquiètent de la pression humaine et industrielle qui pèse sur la Sainte-Baume. Comme « Objectif PNR » qui se bat, en plus de la création du parc, pour le classement du site de la Sainte-Baume qui le sécuriserait définitivement. Elle a dénoncé plusieurs projets, notamment de parc éolien. Du côté de la Région, la collectivité qui en France peut classer un PNR, c’est silence radio. Maud Fontenoy, vice-présidente Les Républicains et élue à l’environnement, n’a pas donné suite aux coups de fils du Ravi.
Signes environnement est également quelque peu échaudée par l’attitude du maire de Signes, Jean-Mathieu Michel (qui se dit « apolitique »), 33 ans de mairie au compteur. Son conseil municipal a pourtant émis à l’unanimité un avis défavorable au moment de l’enquête publique. « Pourquoi a-t-il délivré un permis de construire avant cela ? Et pourquoi n’a-t-il pas lancé un recours juridique ? », se demande Yves Reynard. L’intéressé se dit inquiet et solidaire du collectif mais joue la résignation : « C’est le pot de terre contre le pot de fer. On n’empêche pas le progrès. En ce qui concerne le permis de construire, il n’y avait aucun motif valable pour le refuser. Je me serais exposé à des poursuites. Pour le recours, j’ai consulté deux avocats, un docteur en droit administratif… Je ne peux rien faire car je n’ai pas les moyens d’engager un recours contre le préfet, le percepteur ne me le permettrait pas. » L’article 10 de l’arrêté pris par la préfecture mentionne pourtant, noir sur blanc, la possibilité, pour la commune, de formuler un recours… Affaire à suivre.
1. Le gérant n’a pas donné suite à nos sollicitations.
2. Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement.
3. Le syndicat de préfiguration du PNR, non autorisé à s’exprimer dans la presse, a tout de même fait parvenir au Ravi cette motion mais son président, Michel Gros, maire de Roquebrussane (83), est resté injoignable.