Les fantômes du Front national
Le 29 août 1995 le corps de Jean-Claude Poulet-Dachary, 46 ans, homme de confiance et adjoint de Jean-Marie Le Chevallier, nouveau maire Front national de Toulon, est découvert dans la cage d’escalier d’un immeuble du cours Lafayette, à Toulon. Tournée vers le sol, la face baigne dans une mare de sang qui s’étale au niveau de la base du mur de soutien de l’escalier. Pris de boisson (les expertises ont mis en évidence un taux de 1, 85 gramme d’alcool par litre de sang) a-t-il basculé dans le vide après avoir heurté la rambarde qui lui arrivait à mi-cuisse ? Le scénario tient la route. Mais l’autopsie révèle un enfoncement de l’os pariétal droit à l’arrière de la tête. Une blessure qui n’a rien à voir avec la chute elle-même. L’affaire Poulet-Dachary démarre. La municipalité frontiste la traînera comme un boulet jusqu’en 2001, quand Jean-Marie le Chevallier (démissionnaire du Front en 1999), recueillera moins de 8 % des suffrages exprimés contre 37 % six ans plus tôt. Intelligent, travailleur, disponible, rédigeant le programme municipal frontiste, organisant les collages nocturnes et quadrillant les marchés, Poulet-Dachary avait été le principal artisan de la victorieuse campagne de 1995.
Rumeur délétère
Son parcours de militant royaliste, issu des beaux quartiers de la capitale, et qui s’était engagé dans la Légion étrangère après avoir été séminariste à Ecône, haut lieu de la tradition lefebvriste, avait tout pour séduire les élus lepénistes. Et pourtant, cet homme au parcours atypique ne manquait pas de détracteurs en raison de son homosexualité dont il ne faisait pas mystère. En réalité, les critiques s’adressaient davantage à Jean-Marie le Chevallier qu’à lui-même. La composition de la liste lepéniste ne s’était pas effectuée dans la sérénité. Les contestataires, partisans d’Eliane de la Brosse ou du colonel Gerardin, avaient choisi de la déstabiliser en dénonçant les m?urs de son plus proche collaborateur. Mais, contrairement à leurs espérances, Le Pen avait soutenu Le Chevallier.
Présent aux obsèques, Le Pen se devait de justifier son choix en martelant que la mort de Poulet-Dachary était l’?uvre d’adversaires politiques. Les führers ayant toujours raison, il était interdit de faire la moindre allusion à une affaire de m?urs. Sous peine de radiation. Au passage, le président du FN se lançait dans une étrange démonstration. Affirmant « il n’y a pas de surveillance des braguettes au Front national », il ajoutait : « si tous les homosexuels étaient assassinés en France, ce serait un désert, en particulier dans le monde des médias, de la politique et des artistes… » (1)
Confiée à l’antenne P.J. de Toulon, par le juge Jean-Luc Tournier, l’enquête se développait dans un climat détestable. Selon une rumeur délétère, François Trucy, l’ancien maire UDF-PR de Toulon aurait eu des relations sexuelles avec le fils attardé d’un militant du Front national. Jean-Marie le Chevallier l’aurait dissuadé de porter plainte contre remise d’une somme d’argent et Poulet-Dachary aurait joué le rôle de porteur de valise à billets. Des assertions sans fondement, mais un ancien juge des enfants du tribunal de Toulon n’en a pas moins été condamné pour avoir proposé au candidat Jean-Marie Le Chevallier des procès-verbaux dans lesquels un mineur souffrant de problèmes psychologiques accusait François Trucy d’attouchements. (2) C’est le premier dégât collatéral de cette enquête à rebondissements. Il y en aura d’autres. Notamment la condamnation à cinq ans d’inéligibilité de Jean-Marie Le Chevallier pour subordination de témoin.
« Parole d’homme »
Au sein du Département protection sécurité (DPS), le service d’ordre du FN, Poulet-Dachary bénéficiait d’une excellente cote. Plusieurs DPS, notamment Christian Gueit (l’un des nombreux témoins de l’accusation), ont enquêté de leur propre initiative sur sa mort. Découvrant l’existence d’un individu au comportement bizarre rôdant autour de l’appartement de Poulet-Dachary et qui semblait fréquenter le milieu homosexuel, les DPS avaient fait part de leurs soupçons au maire de Toulon. A leur grande stupeur, celui-ci leur aurait dit : « Ça me gêne car j’ai dit que c’était un crime politique. » (3)
Les choses en sont restées là jusqu’à la publication par le quotidien Var Matin de la photo de Jean-Marc Petroff (35 ans), un marginal ultraviolent qui avait occis un couple à coups de hache. Or, ce Petroff n’était autre que l’inconnu dont Christian Gueit avait décelé la présence ! Désobéissant aux ordres, il décidait alors de témoigner. L’enquête des gendarmes qui avaient succédée à celle de la police judiciaire établissait rapidement que Petroff et Poulet-Dachary se fréquentaient. Homosexuel, adepte du safe-sex, l’adjoint au maire reprochait à Petroff (qui était bisexuel) ses amitiés féminines. Se retrouvant le soir du 29 août à l’Olympe, une boîte gay de Toulon (aujourd’hui disparue), les deux hommes se sont défiés du regard. Petroff a-t-il, ce soir-là, rejoint Poulet-Dachary ? Se sont-ils disputés ? Petroff a bien avoué avoir frappé Poulet-Dachary dans la cage d’escalier. Mais, changeant de version en une seconde, il s’est immédiatement repris : « Parole d’homme, ce n’est pas moi… » Une attitude qui contraste avec la complaisance avec laquelle ce sadique, qui obligeait un homosexuel à coucher avec une de ses amies, a détaillé d’autres crimes bien plus atroces.
En raison de l’incohérence de ces aveux, la justice toulonnaise a levé le mandat de dépôt de Petroff. Le parquet de Toulon souhaitait même, dit-on, requérir un non-lieu en sa faveur. Mais le parquet général aixois et la chancellerie étaient d’un avis contraire. Jean Petroff, sera-t-il, comme les mutins de 17, condamné pour l’exemple ? S’il est acquitté, saura-t-on un jour comment est mort Jean-Claude Poulet-Dachary ?
J.-P. B.
(1) Aujourd’hui en France, 4 septembre 1995. (2) Réélu sénateur (UMP), François Trucy a, depuis, été totalement lavé de ces accusations sans fondement. (3) Jean-Marie Le Chevallier a constamment nié avoir donné des instructions dans ce sens au DPS.
Contrats sur la démocratie
Jean-Pierre Bonicco, aujourd’hui journaliste indépendant, reporter chargé de l’actualité judiciaire de l’aire toulonnaise durant vingt ans à Var Matin, vient de publier un nouveau livre, aux éditions Bartillat : Contrats sur la démocratie ; Paca : ces élus qu’on assassine… Il y décrit trois affaires : l’attentat, en 1984 à Draguignan, contre le socialiste Edouard Soldani, alors président du conseil général du Var ; l’assassinat, en 1986 à la Seyne-sur-Mer, de Daniel Perrin, 2e adjoint de la ville ; et le meurtre de Jean-Claude Poulet-Dachary… Et décrit comment, dans le Var, politique et grand banditisme s’entrelacent parfois bien dangereusement… Une enquête qui complète celle réalisée dans son précédent ouvrage, L’affaire Yann Piat, autopsie d’un crime exquis.