Vacance de Poste au nord de Marseille
Au bout de l’extrême pointe nord-ouest de Marseille, le quartier des Riaux, 600 habitants, est le cauchemar du facteur novice. Auto-construit autour d’usines, on y trouve des cités portant un nom identique en double exemplaire, des rues avec plusieurs noms, d’autres où les numéros ne se suivent pas, des pâtés de maison avec un seul numéro… Dès que le postier titulaire est absent, donc, la distribution devient aléatoire. Et l’a été plusieurs mois, comme dans d’autres quartiers de l’Estaque, en 2019, suite à un arrêt maladie.
« Pendant des périodes entières, il n’y avait pas de courrier du tout, puis il était très mal distribué, il fallait faire des échanges entre voisins », décrit Marie-Blanche Chamoulaud Apercé, présidente de la fédération des CIQ du 16ème, elle-même concernée d’avril à fin septembre. Aux Riaux, des factures ont été reçues en retard, avec pénalités à la clé. « C’est un quartier populaire, avec des gens qui ont des moyens réduits, ça prend tout de suite une dimension sociale pressante… » Ancienne factrice, elle s’étonne de l’ampleur des perturbations et soupçonne un turn-over des remplaçants.
Fermeture aux Aygalades
« On n’a plus suffisamment de remplaçants titulaires, abonde Yann Remlé, délégué départemental de Sud PTT. Les absences sont gérées avec des CDD, mal formés. Beaucoup, au bout de quelques jours, en ont marre de faire 12 heures par jour et s’en vont ! » En dix ans, le numérique a mené à une baisse de 40 % du courrier postal, et La Poste, pour s’adapter, a réduit le nombre de facteurs, aujourd’hui stabilisé autour de 72 000. Le recours à des CDD ou intérimaires, minoritaire à l’échelle du groupe, augmente, et ces contrats se concentrent, selon Sud PTT, sur les postes pénibles comme le travail de nuit et la distribution de courrier, avec des perspectives d’embauche de plus en plus maigres.
Dans le 15ème, aux Aygalades, c’est le bureau de poste qui a fermé, pour des raisons de sécurité après des braquages. Les habitants doivent désormais prendre deux à trois bus pour se rendre au bureau de Saint-Louis. « Élus et habitants, on s’est battu pour la réouverture du bureau », commente Gérard Marletti, président de la fédération des CIQ du 15ème. « On demande sa réouverture, mais ailleurs, dans un local sécurisant pour tout le monde, développe Paul-Maurice Aldebert, de Sud PTT. Ça coûte des sous mais il y a de la demande dans le quartier. »
Pas à l’ordre du jour, dans un contexte où une dizaine de bureaux a fermé à Marseille depuis 2017. La Poste Paca confirme que le bureau ne rouvrira pas, et qu’elle cherche un commerce ou local d’association pour y installer un relais postal. Une présence maintenue avec des services réduits : pas d’opérations bancaires dans celui du Carrefour de La Viste, par exemple, même si la banque postale est censée assurer le service public bancaire pour les plus pauvres. Aux Aygalades, il existe déjà un relais informel : en face de l’ancien bureau, Aziz, gérant d’une boulangerie-pâtisserie-pizza, voit parfois les facteurs, rarement les mêmes têtes, tourner en rond en cherchant une adresse et se fait régulièrement confier lettres et petits colis non distribués, que les gens viennent chercher : « C’est bizarre, non ? »
Compteurs et capsules
La Poste Paca relativise les questions de précarité, arguant de 300 CDI embauchés en 2019, dont la moitié sur des postes de facteur. Sans qu’il soit possible d’être tout à fait confiants : le groupe répond aussi qu’il n’y a pas de sous-traitance de colis à Marseille. Mais au relais Coliposte Nord à l’heure du chargement, on croise les livreurs de l’entreprise SLS, en partance pour tout le 14ème, et ceux de Marseille Courses, qui vont dans les 13ème, 15ème et 16ème. Idem pour les Riaux, il n’y aurait pas eu de problèmes de distribution : « Il n’y a pas eu de grève, de tournées à découvert parce qu’un facteur n’aurait pas été remplacé, et pas de restes, c’est à dire de courrier non distribué et ramené au bureau de poste », indique-t-on à La Poste Paca.
« Il y a eu des manquements ! s’insurge en réponse un facteur de Saint-Henri, bureau auquel la tournée est rattachée. Le courrier s’amoncelait, il y avait un peu de retour tous les jours ! » Selon lui, le problème d’adresses a joué, mais aussi la multiplication des tâches des facteurs, constante depuis 2008. Désormais, ils branchent des box internet, relèvent des compteurs, « récoltent des capsules Nespresso » parfois, tandis que le nombre de petits colis liés au e-commerce augmente, et qu’ils sont livrés, à Saint-Henri, en vrac sans temps de tri dédié. « Les tournées sont de plus en plus grosses, il y a beaucoup plus de choses à penser, les gens perdent pied et le moral… »
Cerise sur le gâteau, un projet de réorganisation des bureaux de Marseille 16 et du Rove prévoit, entre autres, la suppression de deux postes, des pertes de salaire et l’allongement des tournées. Résultat, le bureau de Marseille 16, pourtant pas « guerrier » selon Sud PTT, a fait grève pendant huit jours en octobre 2019. À l’échelle de bureaux, un millier de grèves similaires ont eu lieu entre 2013 et 2018, selon les sociologues Paul Bouffartigue et Jacques Bouteiller. La réorganisation passera quand même, avec des ajustements, en juin 2020. Le facteur de Marseille 16 regarde l’avenir avec inquiétude : « Les usagers commencent à avoir un avant-goût de ce boulot mal fait. Aux Riaux, c’est particulier, mais ça va être le quotidien partout… »