La Poste ne simplifie pas la vie de ses salariés
Pendant le corona, le courrier est plus que jamais vital. Mais pas distribué dans la joie : “Il y a une colère très grande, froide, de la part des collectifs de travail, décrit Yann Remlé, délégué départemental de Sud PTT Bouches-du-Rhône. Les collègues viennent au travail avec la boule au ventre.” Entre le contact clientèle, les tournées, les centres de tri, les risques d’attraper et diffuser le virus ne manquent pas. Et pour les gérer, La Poste navigue à vue (1). Pendant au moins 15 jours après le début du confinement, partout en Paca selon les syndicalistes interrogés, l’arrivée de matériels de sécurité a connu des ratés. “Il y a eu un CHSCT (Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail) juste après le confinement, explique Laurent Ramu, secrétaire de Sud PTT pour les Alpes-de-Haute-Provence et Hautes-Alpes. On a décidé qu’il fallait envoyer du gel hydro-alcoolique, des masques partout. Dix jours après, tout n’était pas arrivé dans certains bureaux. Il a fallu en trouver, appeler à droite et à gauche, même les membres du CHSCT…”
Et les suspicions de cas de Covid 19 se multiplient parmi les postiers, plus de 40 en Paca au 10 avril selon Sud PTT (2), qui cite plus de 10 000 droits de retrait au national. Cinq alertes au moins pour danger grave et imminent ont été déposées auprès de l’inspection du travail, comme au centre courrier de La Ciotat et au centre financier de La Poste à Marseille. À La Ciotat, le rapport d’inspection décrit, au 3 avril, des masques chirurgicaux donnés avec parcimonie, des problèmes de distances de sécurité sur les tâches de tri et de formation, un essuie-main en tissu qui “ne permet pas de positionner les mains sur un endroit autre qu’usagé” dans les sanitaires. Raccord avec les préconisations de l’État, les mises en quatorzaine en reflètent les contradictions : elles dépendent notamment de la définition, aléatoire pour les postiers inquiets, d’un “contact étroit”… Au vu des risques et du fort absentéisme pour garde d’enfant et confinement des personnes à risque, 35 à 40 % des effectifs régionaux selon la CFDT (3), La Poste réduit ses bureaux à 1600, sur 7700 au national, et, après le 30 mars, à trois jours par semaine le travail des postiers. Mais le ton change dès le 1er avril : l’évolution pénalise la livraison de la presse quotidienne, les communes rurales et les quartiers prioritaires, où l’absence de La Poste coupe le service bancaire. Abandon décrié par élus et presse, comme Le Figaro et Les Échos, la sénatrice LR des Alpes-Maritimes Dominique Estrosi-Sassone ou le député LR du Vaucluse Julien Aubert, se découvrant parfois une passion pour le service public… “Le service public, on y est très attaché”, souligne Christian Billet, président de la CFTC, qui demande, comme Sud PTT, une hiérarchisation des activités de La Poste. Le désaccord se cristallise sur l’activité rentable des colis, qui explose à presque 150 % de la normale saisonnière selon la CFDT. “On a des paquets comme à la période de Noël”, partage Laurent Ramu, de Sud. Les facteurs tiquent face aux paquets Sarenza ou Amazon, et à l’accumulation : 30 000 colis en souffrance dans les bureaux fermés, dixit Philippe Wahl, le PDG de La Poste qui a refusé devant le Sénat de faire la “morale du colis” et s’est félicité des résultats du groupe. Chiffre très sous-estimé car de nombreux colis sont entreposés à Paris, selon Jérémy Normand, responsable du pôle Poste Provence-Alpes de la CFDT, qui évoque, comme Sud PTT, 8000 colis en stand-by au centre Coliposte de Marseille Est. Si la décision de justice rappelant La Poste, le 9 avril, à ses obligations de mise en place d’un document d’évaluation des risques, et celle condamnant Amazon, le 14 avril, à ne livrer que les produits essentiels, vont dans le sens des syndicats, c’est surtout la reprise d’activité qui devrait lisser les flux. Alors que 3000 CDD, intérimaires ou salariés de Mediapost ont été mobilisés pour compléter la livraison de presse, les postiers reviennent à quatre jours de travail fin avril et les bureaux ouverts devraient repasser à 5000, malgré les absences. Le tout vu avec inquiétude par les syndicalistes. “Alors qu’en plus, les postiers sont hyper volontaires !, insiste Yann Remlé. Quand on entend parler de service public postal, ça nous plaît, on retrouve du sens. On a des gens qui ont des antécédents cardiaques, du diabète, qui veulent y aller. Mais il ne faut pas que La Poste en profite…” 1. La Poste n’a pas donné suite à nos sollicitations. 2. Il n’existe pas de recensement officiel des cas de Covid par La Poste, qui l’explique par la législation interdisant à l’employeur de collecter des informations de santé sur son personnel. Le recensement de Sud PTT fait état des “cas probables” en l’absence de tests de dépistage systématiques, 3 cas sur 44 étant signalés comme “avérés”. 3. Les chiffres CFDT proviennent de Jérémy Normand, responsable du pôle Poste Provence-Alpes, et concernent l’ensemble de la région Paca sauf les Alpes-Maritimes.