La triple casquette de Roger Pellenc

Un élu qui vote en toute neutralité pour attribuer un terrain à une entreprise qu’il préside : mais où est le problème ? Les militants qui occupent depuis le mois de novembre la « zone à patates », les terrains agricoles menacés par l’extension de la zone d’activité (ZAC) de Pertuis, s’accrochent. Le maire Divers-droite Roger Pellenc s’accroche aussi, lui qui compte demander le recours à la force publique pour dégager le site. Pourtant, des lourds nuages juridiques pourraient obscurcir ce projet présenté comme « avant-gardiste » et « indispensable pour l’emploi ».
Prise illégale d’intérêts
C’est que la mairie, la communauté du Pays d’Aix et la métropole Aix-Marseille semblent avoir négligé un détail : deux des entreprises pressenties pour s’installer sur la ZAC sont gérées ou dirigées par un certain Pellenc Roger. L’une, Pellenc ST, compte Roger Pellenc parmi son Conseil d’administration. L’autre, Pellenc Energy, a carrément Roger Pellenc comme président directeur général. Le même qui est à la fois maire de Pertuis et, à la métropole, premier vice-président du territoire du Pays d’Aix, délégué au développement économique. Un petit risque de conflit d’intérêts ?
Présenté en 2019, le dossier d’enquête publique sur l’extension de la ZAC précisait que les projets d’implantation d’entreprises sur les futurs terrains seraient « validés par la commune et la métropole ». Comment garantir que ces décisions seront prises dans ces deux institutions en toute indépendance ? Contactée, l’Agence française anticorruption (AFC), service autonome du ministère de la justice et du budget, refuse de se prononcer sur un cas particulier et renvoie sur ses recommandations générales pour les collectivités locales. En juillet 2021, l’AFC a effectivement rendu publique une liste d’actions à mener pour « détecter et prévenir », entre autres, les risques de « prise illégale d’intérêts».
« Cartographier les risques »
Car le projet de la ZAC de Pertuis est clairement exposé à ce risque, défini comme une personne dépositaire de l’autorité publique prenant une décision impactant une entreprise, alors qu’elle assure l’administration ou la surveillance de cette entreprise, compromettant ainsi son impartialité. Le délit peut être constitué même si la personne ne recherchait pas un enrichissement personnel, et même si son intérêt personnel n’entrait pas en contradiction avec l’intérêt public de la décision. Pour éviter cela, l’AFC recommande de cartographier les risques en amont des projets, puis de mettre en place des actions de sensibilisation, des formation, et au besoin des mesures de prévention via des contrôles internes ou des mises en retrait sur certaines délibérations. La Mairie et la Métropole, forcément soucieuses d’exemplarité dans leur gestion, ont-elles commencé à mettre en place ces recommandations ? Interrogées par écrit et relancées à plusieurs reprises, l’une comme l’autre n’ont pas trouvé le temps de répondre au Ravi. En janvier, le président du territoire Gérard Bramoullé avait assuré à Marsactu qu’il serait « vigilant pour éviter tout danger de l’ordre d’un conflit d’intérêts, et cela pour protéger autant le projet, le territoire, que Roger Pellenc lui-même ». Nous voilà rassurés.
Car du côté des entreprises, on ne voit pas où est le souci. En décembre 2019, Pellenc Energy avait écrit au commissaire pour manifester son intérêt pour l’extension de la ZAC. « Nous avions imaginé avoir besoin d’un foncier évalué à 5 hectares pour y implanter une unité de production permettant d’accueillir entre 200 et 300 employés », précise Jean-Louis Ferrandis, directeur de l’entreprise. Un projet qui n’est remis en cause ni par le Covid ni par les tensions économiques suites à la guerre en Ukraine, assure le dirigeant. Au moment de cette manifestation d’intérêt, ou après, y-a-t-il eu des mises en garde des collectivités sur un risque de conflit d’intérêts et sur la nécessité de prendre quelques mesures ? « Non, pas du tout », répond Jean-Louis Ferrandis.
Pas de débat
Dans l’opposition municipale, on est dubitatif : « Je ne veux pas jeter l’opprobre sur des entreprises parce qu’elles ont le même nom que le maire. Si elles créent de l’emploi, ça ne me pose pas de problème, nuance Jérôme Narbonne, conseiller municipal PS. Mais il faut un système de gestion indépendant sur lequel le maire n’ait pas de prise : même s’il n’est pas dans la salle au moment d’un vote, sa majorité est aux ordres. Je ne suis pas contre le principe de ce projet, mais sur son ampleur. Bétonner des terres agricoles aujourd’hui alors que la demande de produits locaux augmente et les retours à la terre aussi… Et sur la manière de le conduire : depuis les dernières municipales, nous n’avons jamais débattu de la ZAC en Conseil, ou alors incidemment sur des enjeux financiers. »
Métropole et mairie ne semblant pas prendre la mesure du risque juridique, un opposant pourrait-il faire annuler tout le projet en attaquant une ou plusieurs de leurs délibérations devant le juge administratif ? Le Code général des collectivités précise en effet que les décisions auxquelles ont pris part « un ou plusieurs membres du conseil intéressés par l’affaire » sont considérées comme illégales. Parallèlement à la bataille sur le terrain pour expulser les occupants de la « zone à patates », l’avenir de la zone d’activité de Pertuis pourrait bientôt aussi se jouer dans les prétoires.
La transhumance des ânes, reportage dessiné sur la ZAP
« Par le pouvoir de la patate ancestrale« , reportage dessiné sur la ZAP