Sous la Covid, la vieillesse c'est pas le paradis...
Canapé, télé, canapé télé, dentier, au lit… Avec les confinements successifs, les journées du troisième âge sont devenues ternes et moroses. Si les plus jeunes ont eu le droit de retrouver – pendant un certain temps – les bancs de l’école ou de la fac, les personnes âgées ont dû elles rester cloîtrées dans leurs logements. « Avant j’avais la chorale, mais depuis un an, je ne fais plus rien. Alors je me retrouve à la maison », constate Émilienne Laurenti, Vitrollaise de 78 ans, habituée à prendre la voiture, à sortir et voir ses amis. « Aujourd’hui, je tourne en rond comme une poule en cage. »
« J’aimerais bien un peu sortir, mais tout est fermé », confesse également Félicie Guirdliani, 92 ans au compteur. Certains pourraient penser qu’elle est trop faible pour aller se balader mais, avant la crise, cette dynamique nonagénaire montait et descendait tous les jours les escaliers de son immeuble, se déplaçait sans aide et allait trois fois par semaine à ses clubs. « On était content quand deux heures arrivait. Cela voulait dire qu’on pouvait aller au loto », raconte cette habitante de l’avenue de la Rose à Marseille, dans le 13ème arrondissement. A présent, elle n’a plus aucun contact avec ses partenaires de jeu. « Ne pas pouvoir se rassembler contribue à l’isolement », se désole sa nièce Hélène Guirdliani.
Coupés du monde
Peu informatisées et encore moins présentes sur les réseaux sociaux, pour beaucoup de personnes âgées les sorties étaient souvent la seule manière de garder un lien social, d’échanger. Et donc de continuer à profiter de leur vieillesse. Dans un rapport sorti en mars derniers, les Petits Frères des Pauvres chiffrent à 4,1 millions le nombre de plus de 60 ans qui n’utilisent jamais internet. Depuis l’annonce du gouvernement et la fermeture de toute structure accueillant des personnes de leurs âges, pour beaucoup la vie active a donc été interrompue. « A Marseille nous disposons de locaux pour recevoir des personnes âgées. On boit un café, on fait des jeux de société, explique Séphora Beley, bénévole à l’accueil de jour des Petits Frères des Pauvres dans le quartier de Belsunce (1). Mais depuis la pandémie, on est fermé complètement. Les personnes qui venaient ne disposaient pas de visites à domicile. Elles étaient intéressées par cet effet de groupe. »
La coupure nette de toute rencontre a ainsi entraîné pour beaucoup une mort sociale (voir encadré) qu’il n’y avait pas obligatoirement avant la crise, contribuant à renforcer l’isolement du troisième âge. « Avec le confinement, on dit aux personnes âgées de plus de 70 ans de rester chez elles, et c’est normal car elles sont fragiles. Mais cela ne veut pas dire qu’il faut arrêter de maintenir le lien avec ces personnes-là. Il faut faire attention car cela peut conduire au syndrome de glissement », alerte Julie Gruhier, chargée de communication de la Fraternité régionale des Petits Frères des Pauvres.
Affaiblissement mental et physique
C’est pourquoi l’association a fait le choix de maintenir leurs visites à domicile. Une véritable bouffée d’oxygène pour certains. C’est le cas de Christiane Real, une habitante d’Aix-en-Provence accompagnée par les Petits Frères des Pauvres, pour qui les visites des bénévoles constituent son seul cercle social. « J’ai trois jeunes qui viennent, ce sont mes principaux contacts que j’ai depuis quelques mois », explique-t-elle.
Mais l’isolement n’a pas eu qu’un impact sur la santé mentale des personnes âgées. Il joue également sur leur condition physique. « Quand on s’est retrouvé déconfiné, je n’arrivais plus à marcher. J’étais fatiguée. Moi qui y allait tout le temps, je n’avais plus l’habitude », explique Émilienne Laurenti. « J’ai pris du poids ce qui est très mauvais pour ma pathologie cardiaque. J’ai dit au médecin que je ne pouvais pas me rajouter d’autres privations en plus du contact humain », confesse de son côté Christine Real.
Durant le confinement, ce sont même parfois les plus autonomes, les moins déprimés, qui ont le plus régressé et se sont le plus enfermés dans une bulle qu’on a créée pour eux. « Il nous ont pris pour des gosses. Ils nous ont vraiment enfermés. Cela nous stresse et le stress ce n’est pas bon pour la santé », dénonce Émilienne Laurenti.
Peur des autres
Pire, selon le rapport des Petits Frères de Pauvres, « 80 % des personnes âgées ont continué à limiter les sorties et les contacts » après le premier confinement. L’enfermement les a conduit et les conduit toujours en cette période de troisième confinement à s’éviter les uns les autres. « Ce matin j’ai croisé des personnes du club. Ils m’ont à peine adressé la parole. Ils ont peur. Surtout qu’à chaque fois que j’en croise, on me demande si je me suis fait vacciner », regrette Félicie Guirdliani.
Pour Rosalie Recchia et son mari François, deux résidents du quartier de la Valentine à Marseille, leur promenade quotidienne se limite désormais à un tour de pâté de maison. « Avant on sortait, on allait à la Sainte Baume. On prenait l’air, on se mettait en terrasse. On allait voir les copains. Maintenant c’est fini », déplore Rosalie Recchia. « On est plus à la maison que dehors. Être masqué comme Zorro, ça nous étouffe », ajoute son mari François. Conséquence de la crise et du matraquage gouvernemental et médiatique, désormais les vieux s’auto-confinent…
1. Séphora Beley est par ailleurs salariée au Ravi.