Naître ou ne pas être...
Si vous avez des enfants, cette chanson, vous l’avez forcément subie : « À Marseille / Qué merveille / Y a des coins charmants / La Tourette, la Joliette / L’Estaque et Saint-Jean… Mais peuchère / Pour me plaire / Non rien ne vaut… Le petit bal de la Belle-de-Mai ! » À franchir les tunnels qui mènent à l’un des quartiers les plus pauvres de la ville, on a du mal à voir ce qui a pu l’inspirer. La Friche n’a jamais autant mérité son nom. En face, à côté du « Pôle Médias », la file d’attente s’étire devant Pôle Emploi. Et le jardin Levat, un des rares espaces de verdure, reste fermé. Pourtant, jusqu’en 1996, il y avait à la Belle-de-Mai une maternité. Depuis, c’est un village-vacances.
Mais, d’après le diagnostic de la Fondation Abbé Pierre, si la Belle-de-Mai se caractérise par une population jeune avec « une présence marquante de familles monoparentales et nombreuses », le quartier souffre non seulement du « non-entretien du bâti » mais aussi d’une « carence en équipements de proximité » ainsi que d’un « déficit des espaces extérieurs ». Conséquence ? Un « repli sur l’espace privé », des « difficultés de scolarité » et « des problèmes de santé ». D’où du « turn-over ».
C’est dans ce cadre qu’a surgi en 2017 le projet 3B – « Du bien naître au bien-être à la Belle-de-Mai » – une « démarche participative » du « Mouvement pour le développement social local » soutenue par l’Agence régionale de la santé (ARS) et la région. Jusqu’en 2019, des habitants et des professionnels ont réfléchi sur « l’accueil des tout-petits », le « bien naître » étant « un facteur important de bien-être sur un quartier, une ville ». Avec la mise en place d’« ateliers » pour recueillir les expériences sur le fait d’« être enceinte », l’accueil « à la maternité », l’« épreuve » qu’est une « échographie » mais aussi « l’absence des pères »…
Des espaces d’éveil et d’accueil
Pour une démarche qui a pu s’appuyer sur une part non négligeable du tissu associatif et militant, il ne reste que peu de traces. Il faut dire que, suite aux ateliers, les participants ont décidé, racontent-ils dans le bulletin du projet, de « renverser la proposition » initiale : « Du bien-être au bien naître ». Avec pour mot d’ordre : « Agir ensemble à la Belle-de-Mai », 3B signifiant « du bien-être au bien vivre à la Belle-de-Mai ». Car « comment bien naître sans bien-être et sans mieux vivre » ?
Des questions qui restent entières. Mais qui animent encore Yasmine Sonnet-Haouchine. Ancienne de la crèche de la Friche et « chargée de développement » à la micro-crèche de la Ruche, elle a participé au projet 3B, notamment au « groupe sur la parentalité. Il y a eu l’envie de mettre en place une tisanerie, un espace de rencontre pour les parents et les enfants autour des plantes médicinales et du jardinage. Ça ne s’est pas fait. Mais le besoin, il est là ».
Car, note-t-elle, « il n’y a guère d’espace pour les familles. Le jardin Levat n’est pas toujours ouvert, la Friche perçue comme inaccessible. Et les squares ne donnent guère envie ». Un manque qu’elle perçoit en ouvrant la crèche le samedi matin : « On voit de plus en plus les parents s’impliquer et on accueille les enfants mais aussi les frères et sœurs… » Or, estime cette éduc’, « pour que les enfants aillent bien, il faut que les parents se sentent bien. Et pas que physiquement ». Elle porte donc le projet « ma famille et moi », « un tiers-lieu pour les enfants et leur famille. Ce n’est ni l’école ni le centre social et pas une crèche mais un espace de jeux, d’éveil ». Et donc d’échange et d’information. Voire de prévention et d’observation.
Autre espace, la « Maison du Vallon », qui niche dans les méandres de la Friche. Une « maison verte » (sur le modèle imaginé par Françoise Dolto) qui était jusqu’en 2016 en centre-ville. Et qui accueille, avec leurs parents, les enfants en bas âge. « Il y en a eu 1 700 en 2018 et autant en 2019. Et pas que des enfants de « bobos » ! Même si on n’a pas pignon sur rue, on reçoit de plus en plus de familles du quartier. On voit donc des mômes manger pour le goûter des fruits bio et d’autres des chips. Et des échanges étonnants sur le danger des écrans », note Éric Marquez, un des accueillants.
Un peu de bonheur
Mais, avec le Covid, coup d’arrêt : « En novembre, on n’a eu aucun enfant ! La faute au confinement. Et à la com’ de la Friche, loin d’être satisfaisante. Là, peu à peu, ça remonte. » De quoi souligner dans ce quartier les problèmes de « mobilité ». La faute aux équipements ? Pas uniquement : « Paradoxalement, plus ton habitat est précaire et moins tu sors. Il faut être bien chez soi pour aller à l’extérieur », note le psy. Sans compter le confinement qui « a fait du mal ».
D’ailleurs, alors qu’« Imaje Santé » – une association spécialisée dans les actions de santé à destination de la jeunesse – devait animer mi-décembre un atelier « précarité et confinement » auprès du Collectif des habitants organisés du 3ème, cet arrondissement est particulièrement ciblé par le « Corhesan », un dispositif innovant de l’Hôpital Européen qui, au-delà de l’accueil et du dépistage pour le Covid, va mettre en place des équipes mobiles pour intervenir précocement auprès des patients.
En attendant, Jean-Luc Fabre, lui, a juste envie, comme avec le projet 3B, d’apporter « un peu de bonheur, de bien-être » à travers son métier, menuisier, et sa passion, les plantes. Les jardinières, dans la rue, c’est lui. Et bientôt « une cabane à échanges. Avec des livres, des graines… » Mais lui qui œuvre à la Friche, au jardin Levat ou à la Fraternité déplore qu’avec le Covid, « tout s’est concentré sur l’urgence. Les besoins vitaux, c’est essentiel. Mais faut pas oublier le reste. Et le quartier, j’ai l’impression qu’il est en état d’urgence permanent ».