Punaise !
Début 2019 dans le quartier marseillais de la Cabucelle (15ème arrondissement), quelques « mamans » interdisent l’accès d’une école primaire : « Les enfants revenaient de l’école avec des piqûres, on ne savait pas ce que c’était. Personne ne nous répondait, alors on a bloqué l’école », se souvient Katia Yakoubi. L’établissement est infesté de punaises de lit, ces petits insectes qui pullulent dans nos mobiliers et provoquent de gênantes démangeaisons. Le collectif de la Cabucelle était né, prélude à l’intercollectif marseillais, dont Katia Yakoubi est co-référente.
A cette époque, la bibliothèque de l’Alcazar est infestée, la presse locale parle de « fléau »… Depuis « cela ne s’est pas arrangé, nous sommes toujours sollicités. Il n’y a pas de réponse concrète institutionnelle. Il faut mettre de l’argent sur la table ! », s’énerve Katia Yakoubi. L’intercollectif réclame une « brigade » anti punaises de lit, un « service public municipal pour faire de la prévention, un diagnostic afin d’évaluer le stade de l’infestation et proposer un service gratuit et du matériel pour s’en débarrasser ». « Il faut que ce soit gratuit pour tout le monde, on est tous égaux devant la punaise de lit », rappelle Katia Yacoubi. L’intercollectif attend d’être reçu par la mairie et l’élue déléguée aux « nuisibles », Aïcha Guedjali, issue de la France Insoumise, où elle a d’ailleurs croisé Katia Yakoubi. Si la municipalité dispose d’un service pour agir sur les bâtiments publics, elle n’intervient pas sur le parc privé. « Je compte les recevoir en début d’année prochaine, je suis en phase exploratoire, assure-t-elle au Ravi. Une brigade ? Je ne sais pas. Nous avons des pistes mais il est trop tôt pour en parler. »
Instaurer un droit sanitaire
La prise de conscience politique avance doucement. En septembre 2020, la députée de Marseille Cathy Racon-Bouzon (LREM) a rendu un rapport parlementaire sur la question et une « feuille de route » conjointe des ministères du Logement et de la Santé pour la mise en place d’un plan national de lutte devait être publiée ce mois-ci. La députée déplore « le manque d’action coordonnée de l’État et des collectivités sur ces sujets ». L’une de ses recommandations est de reconnaître les punaises de lit comme un problème de santé publique. Ce qui n’est pas le cas puisqu’il n’est pas prouvé qu’elles soient vectrices de maladie. Pourtant, une infestation peut avoir de grosses conséquences psychologiques : un sentiment de honte, la peur d’en parler, des insomnies parfois. Et des traumatismes qui peuvent durer très longtemps. « Certains sont hyper vigilants, paniquent à la moindre rougeur sur le corps ou ce qui ressemble de près ou de loin à une punaise », explique Jean-Michel Bérenger, entomologiste médical à l’IHU Méditerranée Infection et qui travaille sur la punaise de lit depuis dix ans.
Cette reconnaissance permettrait « d’instaurer un droit sanitaire et donner un pouvoir de police aux préfet et aux maires ». Cela permettrait aussi aux Agences régionales de santé de proposer des « plans d’actions ». Car ce n’est pas un sujet « régalien » pour l’agence rappelle Cécile Morciano, responsable du département santé environnement dans les Bouches-du-Rhône pour l’ARS Paca. L’agence se concentre sur l’information et la prévention, certes primordiale. « Nous avons créé une page web et des plaquettes d’information en anglais, français, arabe et comorien », explique-t-elle, après tout de même une sollicitation de l’intercollectif pour le faire… L’agence finance également un projet avec l’AP-HM, impliquée depuis deux ans, pour mettre à disposition un protocole à d’autres établissements de santé.
Ne rien lâcher
Le coût de la prise en charge d’une infestation est au minimum 300 euros indique Jean-Michel Bérenger et s’élève jusqu’à 2000 euros selon Katia Yakoubi. Et encore quand on ne se fait pas arnaquer par des professionnels peu scrupuleux. La certification de la filière, en cours, est un enjeu majeur. Selon la loi, un propriétaire doit louer un logement « propre » et la prise en charge de l’infestation lui revient. Mais dans les faits, c’est souvent plus compliqué, notamment dans les grands ensembles. « Certains bailleurs sociaux prennent en charge, d’autres non, assure Katia Yakoubi. On joue un peu le rôle de médiateur, en montrant que les punaises étaient là avant l’installation… Mais s’ils n’ont pas envie de le faire ils ne le font pas. » A Marseille, Habitat Marseille Provence a mis en place des accords collectifs… payants : 2,5 euros par mois. « Ce n’est pas au locataire de payer », dénonce Katia Yacoubi. Cathy Racon-Bouzon pense au contraire que cela permet « d’instaurer un dialogue, de mutualiser des objets de désinsectisation pour une somme modique. Mais dans les faits, ils n’ont pas le droit de le faire, ils sont hors la loi ».
Dans son rapport, la députée propose aussi une prise en charge par la Caf – quitte à réclamer les sommes dues au propriétaire par la suite – des frais annexes : relogement temporaire, rachat de mobilier etc. Et milite aussi pour une reconnaissance de la punaise dans les critères d’indignité du logement et un service public d’accompagnement municipal qui mutualiserait du matériel. Le médecin Jean-Michel Bérenger verrait lui d’un bon œil la création d’une maison de la punaise, entre autre, pour faire des démonstrations de désinfection. « On ne lâchera pas », assure Katia Yakoubi, prête à aller manifester devant la mairie si elle tardait à agir ou si elle tentait de mettre la punaise sous le tapis.