À Kalliste, le Château… en chantier !
Depuis trois ans au beau milieu de Kalliste, cité des quartiers nord de Marseille, se cache derrière les murs d’une bastide cossue une structure sanitaire pas comme les autres, le Château en santé , un centre de santé « communautaire ». Un endroit que le Ravi connaît bien pour y avoir mené des ateliers de journalisme participatif qui ont débouché sur la publication d’un supplément (Cf le Ravi n°174, juin 2019). Celui-ci est d’ailleurs affiché dans le couloir, juste à côté de l’accueil.
Covid oblige, les murs ont la parole et les affichettes ne manquent pas : « Si tu tousses, y a du gel » ou encore « Si t’éternues, y a ton coude ». Mais, tandis que Carole Coquentif, infirmière, rentre avec son « groupe de marche », un atelier « randonnée » pour « se mettre en mouvement », « prendre l’air » et aussi « parler santé », une autre affiche se distingue. Le Château annonce qu’il va fermer le 10 décembre : « L’équipe a besoin d’une journée pour réfléchir sur les conditions de travail de ces derniers mois (forte augmentation des passages au centre, rendez-vous à trois semaines d’attente, fatigue des employé.e.s, colère des usager.e.s…) et sur sa façon globale de fonctionner. »
« On est dans le jus ! »
Illustration en salle d’attente : « Je suis là depuis 9 heures et il faut que j’aille chercher mon fils à 11 heures. Si ça continue, je vais faire la bagarre », s’emporte une mère de famille. Edwige Poutot, dans sa blouse blanche, ne se démonte pas : « Que voulez-vous que je vous dise ? Quand on vient sans rendez-vous, on ne peut pas savoir à quelle heure on passe. » La dame attrape son môme par le bras et quitte le Château. Au premier étage, dans la salle dite du « Bosphore » (en référence à la superbe peinture qui orne les murs), se trouve Apo Acikyuz, médiateur en santé, et Bénédicte, médecin. Jérôme Camil, lui aussi docteur, vient de récupérer une trousse pour une visite à domicile. Et glisse : « On est dans le jus ! »
Confirmation d’Apo Acikyuz : « Aujourd’hui, il est difficile de répondre à toutes les demandes. Pendant le confinement, on a fait de la distribution de colis alimentaires et répondu à pas mal de demandes pour des démarches administratives. Durant cette période, les problématiques sanitaires et sociales se sont cumulées. Maintenant, des gens viennent nous voir non seulement pour des questions de santé mais aussi administratives. Ce qui perturbe notre organisation. Et fatigue l’équipe. »
De fait, comme l’explique Bénédicte Gaudillière, « désormais, sur le quartier, par les habitants comme par les institutions, le Château en tant que structure, est parfaitement identifiée. Mais le Covid et le confinement ont bouleversé pas mal de choses. Parce qu’on a été un des rares endroits à rester ouvert. Parce qu’on s’est réorganisé avec une partie Covid et une partie non-Covid, avec un accueil à l’extérieur et des gens du conseil d’administration pour nous prêter main forte. Mais aussi parce durant l’été et à la rentrée, il a fallu gérer, avec le déconfinement, tout ce qui avait été mis en suspens ».
« Ça répond à un besoin »
Dans le détail : « Les personnes qui ont des maladies chroniques et qui ne sont pas sorties de chez elles. Les gens bloqués au bled et qui viennent de revenir. Sans oublier l’école ! Au début, on nous appelait quand un gosse avait le nez qui coule pour savoir s’il était contagieux ! Alors, maintenant, une fois par mois, on s’installe devant la maternelle avec une table, du café et on fait de la réduction des risques… »
Apo Acikyuz, lui, est en outre interprète pour les personnes d’origine turque ou kurde. Et doit faire face à une autre problématique : « On n’en est pas encore à parler du vaccin mais, en Turquie, les personnes qui ont été testées positives se voient délivrer des médicaments. Qui ne règlent rien mais quand les gens reviennent de Turquie et arrivent ici, ils nous demandent pourquoi on ne leur en donne pas… »
Alors, le Château, victime de son succès ? Courant 2019, la structure avait eu droit à la visite très médiatique du Premier ministre, l’équipe l’interpellant notamment sur la question du financement. À l’époque, il y avait eu un sacré défilé de journalistes mais aussi d’élus locaux. Or, aujourd’hui, Michèle Rubirola, élue maire de Marseille, a été médecin dans les quartiers nord (lire entretien page 4). Désormais, après sa démission, elle est adjointe en charge de la santé, présidente des Hôpitaux de Marseille. Et, dans son cabinet, le monsieur « Santé », est un soutien de la première heure du Château.
Sourire de Bénédicte Gaudillière qui vient du cousin toulousain du Château, la Case de Santé : « Il y a un intérêt grandissant des pouvoirs publics pour les structures comme les nôtres. Au point d’ailleurs que les autorités aimeraient en voir se créer plusieurs centaines. Parce que ça répond à un besoin. Et parce que, d’une certaine manière, c’est très “Macron-compatible”. On est petit, souple, on remplit des missions de service public sans en être un. Voilà pourquoi on rappelle à chaque fois l’importance de l’hôpital public comme des autres acteurs du territoire. Et qu’on cherche à se fédérer. »
Il est midi. Pour Apo, ce n’est pas encore l’heure de la pause. Il enchaîne avec un nouveau rendez-vous et commence l’entretien dans la langue de Shakespeare. Blouse de mécano et rasé de près, Christophe Roux l’infirmier, lui, s’enquiert des tests Covid de l’équipe. Et avant de prendre congé, Bénédicte nous demande si, des pommes à 1,25 euros le kilo et une bouteille de Volnay à 10, ça nous intéresse. Avec une ordonnance comme celle-là, on est « en santé » d’être venu !