"On est des victimes collatérales"
« Au début, personne dans ma promo ne voulait y aller. Infirmier anesthésiste, c’est deux ans d’études ultra spécialisées en plus de trois années de formation initiale. On a des vies entre les mains, on craignait que ça nous fasse sauter des cours théoriques super compliqués, qu’on ne pourrait pas rattraper. Et le travail durant la première vague a été extrêmement dur : on n’avait pas assez de masques, de blouses, un chef de service nous a même proposé à la volée de rédiger nos directives anticipées, les dernières volontés en cas de soins de fins de vie, si on devait tomber gravement malade.
Quand l’AP-HM a appris qu’on ne voulait pas y aller, elle a convoqué plusieurs étudiants, et des chefs de service leur ont fait des menaces sur le déroulement de leurs prochains stages, mis la pression sur le fait que des gens risquaient de mourir… On n’est pas des égoïstes, on est nous aussi des victimes collatérales de la destruction de l’hôpital public. Durant la première vague, on sait déjà l’impact d’avoir dû fermer des blocs opératoires, des gens qui attendaient des opérations en sont morts. Et quand la situation va se stabiliser, il va y avoir encore plus besoin d’infirmiers anesthésistes pour rattraper les retards pris dans les opérations.
Au final, l’Agence régionale de la santé nous a réquisitionnés. Selon les régions, la situation varie beaucoup : la fin de certaines formations a parfois été repoussée, il semble qu’en Paca ça être finalement le cas aussi, ça n’est pas clair. En tous cas, comme durant la première vague, on est payés comme des étudiants et pas comme des infirmiers. Et à l’époque, on avait déjà eu du mal à se faire payer les weekends et les jours fériés travaillés. Et évidemment on n’avait pas eu de prime Covid.
Pour cette deuxième vague, cette fois, on a du matériel : blouses, tabliers, protections… Mais dans l’organisation ça reste n’importe quoi. Dans mon service on a gardé une partie de lits de réa classique, pas séparés des lits Covid, alors qu’on l’avait évidemment fait durant la première vague. On va certainement être réquisitionné à Noël pour que les titulaires puissent partir en congés. C’est pas la faute des chefs de service, c’est l’administration : il n’y a rien de formel, tout se fait au jour le jour. Pour le moment, on ne voit pas encore l’impact du reconfinement. La décrue des patients admis en réa commence, mais lentement, un ou deux cas en moins tous les jours. »
1. Le prénom a été modifié.