Jouer avec des punaises
S’amuser pour lutter contre le fléau des punaises de lit. Une drôle d’idée qui a conduit à l’invention d’un jeu de plateforme aussi amusant qu’instructif ! A l’initiative : Didac’Ressources, association dédiée au partage des connaissances et à la lutte contre toute forme de discrimination. « Nous avons voulu regrouper toutes les informations concernant ce problème tout en introduisant une mécanique de jeu, croiser les connaissances et le savoir-faire » énonce Sophie Etienne, déléguée générale de Didac’Ressources. L’association n’en est pas à son premier essai : début 2019, elle avait lancé le « Taudis-Poly » pour dénoncer les taudis marseillais avec une démarche identique, à la fois pédagogique et satirique. « Punaizo » s’inscrit dans la même lignée.
« En s’appuyant sur notre Groupe de recherche action formation (Graf) on a travaillé avec des personnes concernées par le problème des punaises de lit, poursuit Sophie Etienne. Ensemble on a mis à plat tout ce qu’on connaissait sur le phénomène. On a ensuite expérimenté le jeu auprès des habitants des quartiers d’Air Bel et de la Cabucelle, concernés eux aussi par ces invasions, et avec l’entomologiste Jean-Michel Beranger. Au fil des retours, on a donc adapté le jeu pour qu’il corresponde à la réalité. »
La carte magique du spécialiste
Le jeu est composé de 54 cartes, illustrées par Elias Bouaroua, et 120 pions recto-verso représentant d’un côté des punaises et de l’autre des œufs. Au début de la partie, chaque joueur reçoit 10 punaises. Pour résister, ces derniers disposent de 6 cartes composées de différentes catégories d’atouts (armes, sabotage, cartes spéciales). La difficulté se corse quand, à chaque tour, les punaises pondent des œufs et qu’ils se transforment en punaises… Les plus malins pourront user de leur carte « Sac abandonné ou t-shirt » pour en transmettre à leur adversaire mais aussi faire jouer « la Culpabilité » afin de faire passer leur tour au joueur de leur choix et se défaire le plus rapidement possible de ces bestioles. La carte magique est celle du spécialiste. Son intervention tue toutes les punaises et ses prédateurs sauf les œufs. Mais attention, elle s’avère inutilisable si on se retrouve à crouler de dettes.
« Faire appel à un professionnel pour désinfecter coûte entre 300 et 1000 euros suivant le chantier, explique Jean-Michel Bérenger, entomologiste à l’IHU Méditerranée Infection de Marseille, également fondateur de l’Inelp (Institut d’étude et de lutte contre la punaise de lit). Le plus souvent, les gens n’ont pas les moyens de faire appel à un spécialiste. Alors dans le jeu, on leur propose des solutions : machine à laver à 60°, linge au congélateur, Vaporetto… Ils peuvent ainsi se débrouiller en début d’infection. En parler, c’est déjà commencer la lutte. » Lorsqu’un joueur n’a plus de punaises, ni d’œufs, il doit répondre à une carte quizz. « Une punaise de lit peut survivre sans manger pendant trois jours ? Un mois ? Plus d’un an ? ». S’il se trompe, chaque joueur lui donne un œuf ou une punaise.
Informer en dédramatisant
« Ce jeu est destiné à tous et pas seulement aux plus pauvres. Il faut que les gens dédramatisent, alerte Fathi Bouaroua, ancien directeur régional de la Fondation Abbé Pierre, qui soutient l’initiative. La pauvreté n’est pas la saleté. Le phénomène a d’ailleurs commencé dans les grands hôtels, avec l’afflux de touristes. Avec ce jeu on accompagne. Mais attention, ce n’est pas un guide complet. » Edité à 1000 exemplaires, la moitié sera distribuée gratuitement par l’Agence régionale de la santé et Didac’Ressources à des structures associatives qui travaillent sur ces questions et domiciliées en Paca. Le reste est proposé sur la boutique en ligne de l’association.
Et Punaizo, bien au-delà d’un simple jeu, est un projet en perpétuel mouvement : un questionnaire en ligne permet aux joueurs de faire des retours aux concepteurs, des extensions sont envisagées, par exemple sur les questions législatives ou sur l’invasion de punaises en immeuble, le jeu sera bientôt adapté aux malvoyants… Lutter contre toute forme de discrimination est l’essence même de Didac’Ressources. Un local vient d’être aménagé : le Massalia Vox, au 15 boulevard de la liberté à Marseille. « L’idée est de pouvoir faire des cafés débats, des déconstructions de stéréotypes. Récemment, des jeunes entre 20-25 ans sont venus s’amuser au Punaizo. Ils adorent ça » témoigne Sophie Etienne. Et Jean-Michel Bérenger confie, en souriant, que grâce au jeu quelqu’un lui a dit « maintenant, je commence à aimer les punaises de lit » ! Et comme qui aime bien châtie bien, les envahisseuses n’ont qu’à bien se tenir !