« Les parcours de santé sont aussi des parcours de vie »
Comment est née l’unité et l’intérêt des hôpitaux de Marseille pour ces problématiques de mal-logement ?
C’est une problématique forte à Marseille, qui a d’abord été abordée via le saturnisme, puis dans le cadre d’une permanence d’accès aux soins de santé mère-enfant rattachée aux urgences de l’Hôpital Nord et de La Timone. L’objectif est la réduction des inégalités sociales de santé. En entrant dans les logements indignes et les bidonvilles, on a fait le constat que très souvent il y a plusieurs difficultés. On s’est aussi aperçu qu’il y a un continuum entre bidonville et logement dégradé. C’est pourquoi, au début, on est beaucoup intervenu dans le 3ème arrondissement. Dans des logements parfois limites, mais dont les habitants ne peuvent pas se permettre mieux.
Quelles sont les caractéristiques de ces logements indignes ?
Ce sont des logements qui ne respectent pas les critères de décence. C’est-à-dire qu’il n’y a pas de ventilation, qu’il y a des pièces sombres, sans lumière naturelle, des problèmes d’infiltration, d’inondation, d’humidité. Le dernier rapport de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (rendu public le 16 novembre, Ndlr) établit un lien clair entre les problèmes d’asthme chez les enfants et les moisissures liées à l’humidité. Il y a aussi des signes qu’on regarde très peu, comme le refus des enfants d’inviter les copains chez eux.
« ll y a un continuum entre bidonville et logement dégradé »
En-dehors du saturnisme et des problèmes respiratoires, quelles sont les autres pathologies liées au mal logement ?
Il y a aussi les risques d’intoxication aux produits ménagers que l’ont ne peut pas isoler faute d’espace, mais aussi au monoxyde de carbone parce qu’on surchauffe, parce qu’on calfeutre, à cause de la mauvaise isolation du logement. Il y a aussi les nuisibles, les blattes, les rats et les punaises de lit. Il y a également les accidents domestiques : risques électriques, chutes d’objets ou d’enfants. Enfin, il y a les risques psychogènes liés à la suroccupation ou l’état du logement.
Existe-t-il des problématiques de santé liées au mal logement plus spécifiquement marseillaises ?
Il n’y a pas d’originalité. L’épidémie de punaises de lit, qui est très forte à Marseille, est mondiale et touche tout le monde. Des hôtels new-yorkais ont ainsi été frappés. La seule particularité concerne la peinture au plomb, comme dans pas mal de ports. Elle était très utilisée pour les navires, mais aussi par les ouvriers des chantiers pour repeindre leurs logements. Si elle a été interdite dès 1949, elle a été utilisée sur les bateaux jusqu’en 1975 et certainement plus tard par les particuliers.
Quelles sont les limites de votre action ?
Ici, nous sommes une unité de consultation. Même si nous disposons d’assistantes sociales, si nous faisons des visites chez les gens, il y des limites réglementaires à notre action. Alors qu’on intervient pour aider les gens à mieux vivre dans leur logement, certaines familles demandent un relogement, ce que l’on ne peut pas proposer. D’autres ne veulent pas engager de procédure par peur de ne pas être relogés ou, comme les sans-papiers, de se retrouver à la rue. On est aussi confronté à des situations où les habitants peuvent être considérés en responsabilité, comme la suroccupation d’un logement. Les familles auprès desquelles on intervient ne sont jamais dans des situations simples. Les parcours de santé sont des parcours de vie, où les choix faits sont souvent les moins mauvais.
Est-ce que la problématique est bien prise en compte par les pouvoirs publics ?
En tant que médecin, je ne peux pas me prononcer. On travaille avec l’ARS, notre principal financeur, avec le service hygiène de la ville de Marseille, avec le pôle départemental de lutte contre l’habitat indigne… Après, il y a beaucoup de fluctuations (dans l’action publiques) qui nous sont à nous, soignants, étrangères. Même si on peut en percevoir les effets. Il y a eu un groupe de travail dans les quartiers nord, qui a été interrompu et n’a pas pu aboutir à un résultat satisfaisant pour les habitants. Mais entre-temps, un autre, « Vivre mieux chez soi », s’est monté à Noailles avec des acteurs associatifs et institutionnels. Il a débouché sur l’expérimentation d’un « Passeport logement », un dispositif qui permet de faire le lien entre les différents acteurs qui sont intervenus sur le même logement. J’attends le résultat des tests car j’aimerais le développer sur les quartiers nord, en relançant notre groupe de travail.
Propos recueillis par Chantal Bagur* et Jean-François Poupelin
Chantal Bagur est une usagère du Centre social des Musardises, avec lequel nous avions initié un projet de journalisme participatif sur la thématique du dossier. Pour cause de reconfinement, le projet a été stoppé. Mais Chantal a souhaité continuer à participer.