La Busserine a besoin d'un grand bol d'air

Farid Adrar, du Comité Mam’Ega, plisse les yeux pour essayer de déchiffrer sa copie de l’ordre du jour, étalée sur une page A3. « S’il avait fallu l’imprimer lisible, on aurait pas pu le tenir en mains ! », rigole Anne-Marie Tagawa, présidente du centre social Agora. Comme chaque mois, associatifs et habitants du quartier de la Busserine et du Grand Saint-Barthélémy, dans le 14e arrondissement de Marseille, se réunissent pour un groupe de veille sanitaire. Une initiative lancée en 2016, après qu’un toxicomane soit entré dans une des écoles du quartier pour se shooter. « Plusieurs mamans qui avaient assisté à l’intrusion sont venues au centre social pour organiser la réaction, se rappelle Anne-Marie Tagawa. Et là on a commencé à expérimenter ces réunions collectives pour parler de tous les enjeux de toxicomanie, d’environnement, de services publics, dans leurs conséquences sur la santé des habitants, aussi bien physiques que psychologiques. »
Quartier confisqué
Cet après-midi, au deuxième étage du centre social, dix-sept représentants associatifs, habitants, médiateurs urbains. Dans les priorités les plus urgentes : les conséquences du trafic de drogue qui, malgré toutes les opérations de police, se poursuit de manière de plus en plus agressive. Contrôles à certaines entrées du quartier, passages bloqués par des encombrants… « C’est une pression permanente, une humiliation, on se fait confisquer notre quartier », déplore Jean-Michel, résident du bâtiment M2.
Comme si ça ne suffisait pas, la Busserine continue aussi de subir les conséquences du chantier de la rocade L2, qui connecte les autoroutes A50 et A7 pour permettre le contournement du centre-ville de Marseille. Pendant plusieurs années, les habitants avaient dû supporter le bruit, les secousses et la poussière de la noria d’engins de chantier, venus transformer l’ancienne deux fois deux voies en rocade moderne. Des travaux qui se superposaient à d’autres, pour des opérations de réhabilitation de certaines des barres d’immeubles. Les habitants, à l’époque, dénonçaient déjà un véritable « smog » de poussière, irritant pour les yeux et les poumons. En 2018, enfin, la L2 s’ouvrait à la circulation. Mais depuis, la Busserine n’est toujours pas sortie des travaux. « Beaucoup d’entreprises sont parties en laissant des barrières et des parpaings sur place, déplore Anne-Marie Tagawa. Et les chantiers qui continuent sont mal délimités, et leurs accès souvent mal sécurisés. »
Sous les fenêtres du centre social, une bande de terre nue, ouverte à tous, longeant la rocade. Une voiture brûlée d’un côté, de l’autre un engin de terrassement, manœuvré par trois ouvriers. Ceci est le lieu du futur espace de loisirs de la Busserine, un parc censé être livré… en 2021. « Avec tous les retards pris sur les chantiers, notamment avec le Covid, il n’est pas sûr que l’espace loisirs soit prioritaire, souligne Guillaume Sèze, directeur du centre social. Il va falloir être vigilant. »
Toujours au milieu des travaux, les habitants ont également commencé depuis deux ans à être exposés aux conséquences de la L2 en termes de pollution de l’air. Le quartier est situé entre l’échangeur A7-L2 et le tunnel passant sous le centre commercial du Merlan. Soit deux des points de plus forte pollution sur tout le tracé de la rocade, selon Atmosud.
Dérapage annoncé
Dans une étude publiée en juillet dernier, l’association, agréée pour la surveillance de la qualité de l’air en Paca, relève que si la L2 a entraîné une réduction de la pollution dans le centre-ville, elle a « des effets négatifs localement au niveau des têtes de tunnels et des tranchées ouvertes » de la rocade. À la jonction entre L2 et A7, les taux annuels moyens de dioxyde d’azote sont 25 % plus hauts que la norme européenne autorisée, atteignant 50 picogrammes par mètre cube d’air, avec des pics horaires jusqu’à 179 picogrammes. La sortie du tunnel Merlan affiche la même moyenne de 50 picogrammes. « C’est surtout le boulevard Raimu, à côté du tunnel, qui est le plus impacté, détaille Patricia Lozano, chargée d’action territoriale pour les Bouches-du-Rhône à Atmosud. Plus on s’éloigne du tunnel, plus on constate des taux comparables à ceux du centre-ville. »
La hausse de la pollution avait été annoncée par Atmosud, il y a plus de dix ans. Dans une étude réalisée en 2009, l’organisme prévoyait une augmentation de plus de 17 % sur la Busserine, qui dépasserait alors les limites européennes en plusieurs endroits. Commanditaire de l’étude, Garo Hovsepian, le maire des 13e et 14e arrondissements de l’époque, avait réclamé « la couverture la plus totale » de la L2. Cette solution, coûteuse à la fois en termes de travaux mais aussi parce qu’elle nécessitait la mise en place de plusieurs stations de traitement des fumées, n’a pas été retenue par les pouvoirs publics, qui peinaient déjà à boucler le budget initial de la L2, 620 millions d’euros sur trente ans.
Une couverture partielle a finalement été mise en œuvre, mais seulement sur la moitié des tronçons nord et est. Quant à traiter les fumées des tunnels et des tranchées couvertes ? Au début des travaux, en 2015, la Société de réalisation de la L2 (SRL2), s’appuyant sur des expériences similaires, jugeait que les procédés de filtration « ne réduisaient la pollution que de 3 % », et estimait plus efficace de contraindre les poids lourds à s’équiper de filtre, renvoyant donc le sujet à l’État et à la métropole. Aujourd’hui, des tests sont en cours entre SRL2 et Atmosud pour faire varier la ventilation des tunnels selon la pollution et la météo. Les premiers résultats des tests sont attendus début 2021.