Le monde d’après, parfois un peu mieux qu’avant
Ils remontent la Canebière sur la « coronapiste » de vélos, installée en mai sur cette épine dorsale de Marseille. Le Maillon Vert, Mistral, Tout en vélo : avec un panier géant à l’avant, un coffre ou une remorque à l’arrière, les vélos-cargos des sociétés de livraison en petite reine sillonnaient déjà la ville durant le confinement, apportant la preuve qu’il existe une alternative à Uber ou Deliveroo. Car ces livreurs sont tous payés en salaires, en respectant toutes les cotisations sociales, contrairement au système d’auto-entrepreneurs prisé par les géants du Net. Une livraison éthique, qui a vu sa demande exploser durant le confinement.
« Avec la fermeture des marchés, les producteurs locaux se sont retrouvés sans débouchés », explique Christelle, coordinatrice bénévole pour la Roue, monnaie alternative implantée à Marseille depuis 2013. « Nous étions en contact avec la responsable du marché de la Joliette [quartier portuaire, commercial et de bureaux], qui nous a demandé si nous pouvions monter une boutique en ligne. Avec l’aide de plusieurs bénévoles informaticiens, nous l’avons fait en un week-end. » Et de 30 commandes la première semaine, la boutique passe rapidement à 160 commandes par semaine ! Pour livrer du panier au palier, dans un souci de responsabilité sociale et environnementale, la Roue fait appel à Agilenville, société de livraison à vélo n’employant que des salariés, et qui travaille déjà avec Carrefour. « Ça a tellement bien fonctionné qu’à un moment, nous avons dû fermer la boutique en urgence : les producteurs n’avaient plus de stock ! », poursuit Christelle.
Prêts à taux presque zéro
Avec la réouverture des marchés suite au déconfinement, la demande s’est logiquement réduite. Mais elle n’a pas du tout disparu, se fixant entre 30 à 40 commandes par semaine, avec plusieurs clients se regroupant pour mutualiser les paniers. Un système bénéfique à tous points de vues, puisque les entreprises partenaires, y compris les livreurs, sont devenus membres et utilisateurs de la Roue, contribuant ainsi à un fonds de garantie qui finance des prêts via la coopérative financière Nef. « Nous allons bientôt atteindre les 300 000 € de garantie, note Christelle. Cela nous permet de proposer à nos adhérents des taux d’intérêt quasiment à zéro. » Autre retombée du confinement : la mise en réseau des livreurs et des utilisateurs, et leurs contacts avec des acteurs de l’économie « traditionnelle ». Plusieurs associations de commerçants devraient ainsi, avec le soutien de la Chambre de commerce, mettre en place à partir de cet été un système de tickets à prix réduit pour des livraisons d’entreprise à entreprise, ou vers les particuliers.
« Ça s’est vraiment monté spontanément »
Une autre initiative née du confinement se promène elle aussi dans le centre-ville de Marseille : des maraudes autogérées, pour proposer des repas aux personnes en difficulté financière ou de logement. « Ça s’est vraiment monté spontanément, par un groupe Facebook, parce qu’on savait qu’il y avait des gens en galère autour de nous, explique Renan (1), membre de la maraude du Cours Julien et de la place Castellane. Avec 5 ou 6 personnes en cuisine, on a commencé à préparer quelques repas, à les apporter, puis ça s’est agrandi vers d’autres quartiers. » Plusieurs associations, comme l’espace Dar Lamifa dans le quartier de Noailles, met à disposition ses cuisines. Au pic du confinement, les cuisiniers des maraudes autogérées préparent quotidiennement entre 50 à 100 repas, livrés deux fois par jour, sept jours sur sept, dans tout le centre-ville. Les bénéficiaires sont aussi bien des personnes isolées, que des sans-abris, des familles en rupture financière, des migrants.
« Pour beaucoup de familles, c’était compliqué d’aller avec les enfants aux distributions alimentaires, où il faut souvent attendre très longtemps », note Renan. La solidarité se met aussi en place pour l’approvisionnement : « On a été faire de la récup au marché d’intérêt national, mais on a aussi été aidés par le Mc Donald’s de Saint-Barthélémy [restaurant des quartiers Nord, réquisitionné par ses salariés pour protester contre le projet de fermeture de l’établissement], qui centralisait des dons de nourriture. » Au même moment, les associations traditionnelles se retrouvent débordées, à la fois par l’explosion de la demande, et aussi parce que beaucoup de bénévoles, âgés, sont des personnes à risques face à la pandémie de Covid. Les maraudes autogérées, qui opèrent dans un entre-deux juridique, sont donc tolérées. « La police a plusieurs fois mis des amendes pour violation du confinement à des collègues qui organisaient une distribution alimentaire aux migrants, rappelle Renan. Mais la préfecture s’est vite rendue compte qu’elle était débordée, elle ne pouvait pas faire face à l’urgence sociale. Alors ça s’est calmé. »
Un mois après le déconfinement, les associations traditionnelles retrouvent peu à peu leurs bénévoles. Mais les besoins eux, n’ont pas baissé. Entre réduction du chômage partiel, premiers plans de licenciement et poursuite de l’épidémie, les plus fragiles restent sur le fil du rasoir. Les maraudes autogérées continuent donc leur action. « On en est à 40 repas par jour, trois à quatre jours par semaine, note Renan. Désormais, c’est plus facile pour trouver des denrées, les repas sont plus copieux ! »
Réduire les déchets d’un tiers
Avec la reprise de l’activité économique, se repose aussi la question de la gestion des déchets. Et là aussi, le confinement a aidé à dégager des actions nouvelles. Avec les restrictions de déplacements, « ça a obligé les commerçants encore ouverts à optimiser leur logistique, et les transports sans émission de carbone sont apparus comme une alternative valable », souligne William Ducoulombier, coordinateur d’un hub de transporteur à vélos qui commence à s’installer dans un ancien immeuble de la Poste, près de la gare Saint-Charles. Membre du hub, l’association Ça cartonne recueille ainsi 10 tonnes de cartons par mois auprès des commerçants, pour un coût moitié moins cher que le service proposé par la métropole Aix-Marseille. « Grâce au réseau, poursuit William Ducoulombier. Nous avons aussi développé un service de collecte des biodéchets dans les 7 lycées de Marseille. En privilégiant les transports à vélo [selon les configurations, les vélos-cargos peuvent porter jusqu’à 180 kg] et en formant dans les lycées aux gestes pour réduire de 30 % à 40 % la production de déchets, on arrive à n’avoir plus à faire que 100 km en camion chaque année pour amener les déchets de tous les lycées au centre de tri. » Devant la hausse de la demande durant le confinement et qui se poursuit depuis dans le déconfinement, plusieurs entreprises de transports en vélo se sont fédérées pour proposer des tarifs réduits, tout en augmentant leur activité.
1. Le prénom a été changé.