Sanary-sur-Mer, marché sans contact
Le périmètre est tracé par des rubans de signalisation ne laissant qu’une entrée, surveillée par trois policiers. Une banderole colorée rappelle les règles de distanciation sociale mais pas d’inquiétude : au marché quotidien de Sanary-sur-Mer (83), ce 22 mai, il n’y a franchement pas foule. Il faut dire que depuis la réouverture du 12 mai, les codes ont changé. Car si le rendez-vous fait le bonheur des personnes âgées dans cette commune qui compte 46% de retraités selon l’Insee, c’est au prix d’un protocole bien local. L’arrêté pris par la municipalité précise que le paiement au marché doit se faire « par carte bancaire », que le port du masque y est « obligatoire » et que « les clients ne sont pas autorisés à toucher » les produits.
Ces consignes de déconfinement sont néanmoins plus mesurées que celles que Ferdinand Bernhard avait initiées fin mars. Le maire divers droite, élu depuis trente-et-un ans, avait en effet choisi de limiter les déplacements au-delà de 10 mètres du domicile et d’interdire les achats à l’unité. Les textes ont finalement été retirés après avoir fait l’objet d’un recours administratif de la préfecture du Var. Mais une marche arrière et un déconfinement plus tard, Sanary s’illustre toujours. Au-delà des conditions draconiennes de la reprise du marché, c’est la seule commune de l’Ouest-Var qui n’a pas demandé la réouverture des plages. Autre perspective imminente : le procès en juin de Ferdinand Bernhard, pour favoritisme, prise illégale d’intérêts et détournements de biens publics. Ce qui ne l’a pas empêché d’être réélu dès le premier tour avec près de 69 % des voix mais presque 70 % d’abstention…
« Tout ça, c’est abusé ! »
Mais là n’est pas le sujet pour l’instant. Et selon Juliette, bob sur la tête et robe d’été, « Le maire fait un travail fantastique. Grâce à lui, la ville et les commerces sont propres ». Cette ancienne coiffeuse de 88 ans se plie aux consignes. Elle attend donc patiemment d’être servie par Luc, son primeur. Ces deux-là se connaissent bien, Juliette est une habituée. Mais le jugement de la vieille dame est sans appel : « Le marché, c’était mieux avant ! »
Elle doit tendre les bras pour récupérer sa botte d’asperges au-dessus du ruban de démarcation. « Le ruban est obligatoire. Le maire nous a dit que c’était soit ça, soit la vitre », résume le primeur. Luc explique « perdre chaque jour encore plus de chiffre d’affaires car les clients ne retrouvent pas la convivialité qu’ils aiment ici. Pour compenser, j’ai mis en place un service de livraison pour les seniors qui se confinent encore ». Juliette n’est pas de ceux-là : « Chaque après-midi, je retrouve mes copines. On discute avec le masque. »
Dans cette période difficile pour les personnes âgées, la municipalité leur témoigne-t-elle d’un soutien particulier ? Nous n’en saurons rien : cette dernière a refusé de répondre aux questions du Ravi. Pour Olivier Thomas, élu de l’opposition et deux fois candidat à la mairie, les restrictions en vigueur sont avant tout pénalisantes : « C’est de la surenchère, au-delà du raisonnable et du législateur. Certaines personnes âgées les vivent même comme une injustice. Les clubs de retraités qui pratiquent de la gym douce dans l’eau sont obligés d’aller ailleurs. Et les consignes sur le marché découragent les habitants. »
Assis face au boulodrome fermé, deux retraités du bâtiment nous interpellent avec le même discours : « Tout ça, c’est abusé ! » Le plus âgé ne souhaite pas parler aux journalistes mais son ami Julio est plus bavard. Lui non plus ne reconnaît pas le marché. « Mais le plus choquant, c’est les plages. Regardez, on voit la mer d’ici ! Nous enlever cette liberté, c’est n’importe quoi. » En face d’eux, un vieil homme en fauteuil roulant déambule seul entre les stands. Son masque est trop petit, alors il a fabriqué une rallonge avec une serviette hygiénique pour couvrir son nez. Il fait signe de ne pas l’approcher.
Jean-Luc, 76 ans, se tient lui aussi à distance mais il croit savoir où trouver les meilleurs masques : « J’ai tout comparé, les moins chers dans le secteur c’est Leclerc. » Le vieil homme a fait son stock : « comme ça, quand je reverrai mes petits-enfants, je pourrai leur en donner plein. On fera un déjeuner, mais on mangera pas à la même table. » Par peur d’être contaminé, lui qui est considéré comme fragile ? « Au contraire, j’ai peur de les contaminer eux ! C’est pas drôle comme maladie. Mais à mon âge, on peut mourir tranquille… »