Quand le masque est là, la java s'en va !

Cet été, avec l’annulation de la plupart des festivals, on a recherché, avec la frénésie d’un junky, le moindre concert. Quitte à subir, après avoir fait pas mal de bornes, une chanteuse dont la maîtrise toute relative de l’anglais su garantir distanciation et mètre de rigueur entre spectateurs. Le monde d’après, on y est ! Même les matchs amicaux se font à guichet fermé et, la queue dans les parcs d’attraction donne l’impression d’être à la Caf ou la Sécu…
Nous aurions pu nous enterrer à la Roque d’Anthéron, au Festival international de piano, ou goûter la chaleur des Suds à Arles. Mais, un peu joueur, notre choix s’est porté sur Encore Encore, le « festival du laboratoire des possibles », prévu fin août et en plein air à Correns, dans le Var. Et puis, patatras, annulation ! Heureusement, pour assurer nos arrières, on avait traîné nos guêtres dans une des rares manifestations à avoir trouvé des solutions de repli, le Marseille Jazz des Cinq Continents.
« Le festival en tant que tel n’a pas pu se tenir, précise son directeur, Hugues Kieffer. Mais, comme des lieux ont accepté de nous accueillir et qu’on ne dépend que de l’argent public, on a décidé, parce qu’on estime que c’est important que les artistes, notamment locaux, puissent jouer, de maintenir une programmation. Notre chance, c’est d’être en plein air. Et de faire du jazz. Une musique où ce qui compte, c’est l’écoute. Et que l’on peut donc apprécier assis. »
Nous voilà non loin du Vieux Port, entre le palais du Pharo et le fort Saint-Nicolas, à la Casa Delauze, « qui accueille d’ordinaire des événements plus corporate », reconnaît la maîtresse des lieux (et ancienne de la chambre de commerce) Thalie Testot-Ferry. Dans un espace qui peut accueillir 700 personnes, la jauge est limitée à 300 places. Et la règle simple : « Pour profiter du concert, il suffit de prendre un transat et de s’installer où bon vous semble. Mais, dès que vous vous déplacez, il faut mettre votre masque. » Elle fait elle-même la police ! Les plus récalcitrants, de jeunes écervelés ? Non, de vieux briscards qui font semblant de l’oublier ou le relèguent dans une poche à la faveur d’une clope ou lorsqu’ils vont se ravitailler au buffet.
« Le jazz peut s’apprécier assis »
Il y a eu des concerts des Cinqs continents endiablés au parc Longchamp, notamment celui de Bobby Mc Ferrin. Changement d’ambiance. Public grisonnant, robe de soirée pour les unes, déguisement de plaisancier pour les autres, ça sent la mer et ça pue le fric. Avec notre T-shirt de la Plaine et notre paye du Ravi, on renonce au champagne pour se rabattre sur la bière. Seule consolation : tout le monde est égal face au casse-tête qui consiste à assembler sans se tromper un transat.
La programmation ne parvient guère à animer l’audience. Le trio Alice Martinez s’en tient à un jazz classique. Le premier morceau, « Cheek to cheek », a presque des allures de provocations puisqu’il vient rappeler « le plaisir de danser joue contre joue ». Et lorsqu’elle entonne « Douce nuit d’Alger », cette chanson de Joséphine Baker prend, sur cette rive et avec ce public, une drôle de résonance.
On en profite pour aller se chercher une deuxième – et dernière – bière. Sans masque, pour voir si cela déclenche un rappel à l’ordre. Même pas ! Mais, même entre gens bien élevés, il est possible de se faire piquer son transat. « Si j’arrive à en sortir, je vous le rends ! », plaisante l’impétrante avec l’aide de sa fille.
Arrive sur scène la pianiste et chanteuse Macha Gharibian. Qui reconnaît presque à mi-mot le « trac » de se produire après des mois de confinement : « Mon dernier album est sorti juste avant. Une tournée était prévue. Tokyo, Melbourne. Et puis voilà… », lance-t-elle. Pas de quoi dérider une assistance qu’elle prendrait comme à rebrousse-poil avec son titre « Fight » : « Tous les combats sont bons. Et Marseille en a un sacré à mener ! » Une référence explicite aux dernières municipales. Autant dire que, vu le profil de l’auditoire, les applaudissements se comptent sur les doigts de la main de Django Reinhardt.
Certes, son seul morceau en français, consacré à la solitude pendant le confinement, n’incite guère à l’exubérance. Mais son invitation à « mettre le masque » pour ceux que le « rythme ternaire » lèverait de leur chaise tombe à plat. Même pour réclamer un rappel, le public ne daigne pas, sauf rares exceptions, lever son séant. Les seuls à avoir une excuse ? Un vieux couple qui, sans l’air d’y toucher, s’est sifflé deux quilles de rosé. Et notre voisin de derrière. Qui, lui, est en fauteuil roulant !