Les médias pas pareils en direct de Coronaville !

Un seul octet vous manque et tout est dépeuplé. On a beau travailler dans le mensuel qui ne baisse les bras que pour tousser dans son coude, le télétravail donne parfois des envies de meurtre. Pour la première télé-réunion, il a fallu deux heures pour se connecter !
À la manœuvre, pourtant, le responsable web et numérique. Seulement voilà : au-delà de 4 participants, WhatsApp patine. On bascule sur Hangouts… Plus facile à dire qu’à faire. Le comble, c’est notre responsable de la com’ privée d’internet ! Après avoir tenté sans succès de faire tourner un document partagé, notre geek finira par revenir aux bons vieux mails et pièces jointes. Et on ne vous parle même pas des problèmes de câbles…
Pas de raison donc que les médias soient épargnés par l’épidémie. Et travailler dans des structures qui se caractérisent par leur fragilité n’arrange rien. Sans parler du fait que, du côté des interlocuteurs institutionnels, c’est coton : au ministère de la Culture comme dans les antennes régionales de la Drac, ça sonne dans le vide.
Et pourtant, c’est à la faveur de la situation actuelle que la « Coordination permanente des médias libres » (CPML) a, tel le phénix, rejailli de ses cendres. Martha de Silence a relancé la machine en interrogeant le réseau pour savoir comment ses membres faisaient face. Si le mensuel écolo semble s’être mis sans encombre au télétravail, le problème, c’est la distribution : « Nous envoyons chaque mois notre revue grâce à l’appui de bénévoles qui viennent nous aider. » Impossible avec le confinement ! L’envoi du numéro daté d’avril a donc été suspendu. Et de lancer : « Comment faire vivre notre revue qui repose sur le collectif ? Comment faire vivre l’information indépendante et alternative ? »
On doit pouvoir circuler !
Une interrogation loin d’être isolée. Localement, Radio Grenouille a décidé de se mettre en stand by – en assurant un programme minimum depuis le domicile de Djillali, le technicien chargé de la réalisation – tandis que La Marseillaise, elle, a tout bonnement cessé d’imprimer. Les réponses sur la mailing-list de la CPML ont donc afflué : « Même de médias qui ne s’étaient jamais manifestés », s’étonne un « ancien ». Le mot d’ordre, c’est « confinement ». Et donc « télétravail ». Ce qui ne « change pas grand-chose » pour 15-38 Méditerranée : « Comme nous sommes dans des villes et des pays différents, on est habitués à tout faire via internet. Mais c’est sûr que ça change la manière de faire du reportage ! On va mettre l’accent sur le témoignage. » Néanmoins, le projet d’ouvrir une « Maison des Méditerranées » est reporté…
Pas simple de faire de l’info au pays du confinement. Pas de raison pour que les médias « pas pareils » soient moins mal équipés que les autres. Et, à la question sanitaire, se pose celle de circulation : « Avec la carte de presse, il n’y a pas de difficulté, note Emmanuel Vire, du SNJ-CGT. Mais tout le monde ne l’a pas. Toutefois, avec un ordre de mission, on doit pouvoir circuler. » Pas simple, dixit la TV Net Citoyenne qui fustige « la non collaboration des autorités qui choisissent leurs médias, méritant encore plus le qualificatif de “préfecture”… » En tout cas, du côté des syndicats, on redoute autant que pigistes et précaires ne soient « sacrifiés » en ces périodes de difficultés que de les voir « envoyés au casse-pipe ».
Autre souci, celui de la distribution, à venir et en cours. Comme l’explique Charlotte de La Trousse Corrézienne, « le dernier numéro ne va pas se vendre et on n’a pas les épaules pour le supporter ». Même son de cloche des Autres Possibles à Nantes. Et Zélium de voir débarquer Covid 19 « après 2 ans de pause » ! Une problématique qui concerne aussi Le Canard Enchaîné qui, jusque-là rétif au web, vient de lancer sa version numérique, et avec une pagination réduite de moitié ! Le tout alors que le mastodonte de la distribution, Presstalis, est au bord de la liquidation et les ventes en kiosque au plus bas.
Une difficulté qui ne touche guère les médias « pas pareils » : l’effondrement de la pub que pointe notamment le Spiil, le Syndicat de la presse indépendante d’information en ligne. Confirmation au SNJ-CGT : « Du côté de la presse magazine, il va y avoir des morts. »
Une problématique qui frappe de plein fouet la Presse pas pareille, c’est l’arrêt des ateliers d’éducation aux médias ou de journalisme participatif. Au point que Les pieds dans l’Paf ont décidé leur « fermeture administrative ». En revanche, pour l’association de critique des médias Acrimed, « pendant la crise, pas de confinement pour la critique ».
Ce qui caractérise le tiers secteur, c’est l’inventivité. Comme Télé Mouche qui a lancé – avec succès – un appel à films « pour tenir un journal de bord collaboratif ». Ou Mediacoop à Clermont-Ferrand : « On devait sortir notre documentaire « Je voudrais que tu restes » au cinéma. C’est désormais impossible. On va donc mettre en place un visionnage en ligne avec un système de don partagé », souligne Eloïse Lebourg.
Quant à l’association Phonurgia, après avoir mis en place Radio Riace International, voilà qu’elle veut mettre en œuvre une radio de « dé-confinement » comme outil pédagogique à destination des élèves de tout niveau. L’inventivité, c’est aussi ces feuilles qui passent de main en main comme « Y a-t-il une vie avant la mort ? ». D’ailleurs, il est une pratique que le confinement semble relancer, c’est l’alcoolisme chez les journalistes. Soupir d’une consœur : « On n’a plus que ça à faire ! »