Roselyne, réveille-toi...

On a beau être ministre, on ne peut être partout. Surtout quand on vient d’arriver. Et qu’on a déjà du pain sur la planche. Mais ça n’a pas empêché la nouvelle locataire de la rue de Valois, Roselyne Bachelot, de s’afficher dans l’émission Les reines du shopping. Au profit, certes, de la lutte contre Alzheimer. Mais la ministre de la Culture et ancienne chroniqueuse multi-supports semble avoir zappé qu’il y a un autre secteur en souffrance : la presse. En particulier locale.
La Marseillaise est ainsi à nouveau en grande difficulté. Les éditions des Fédérés ont été liquidées le 13 juillet, avec 3 mois pour trouver un repreneur. Soupir du directeur, Frédéric Durand : « On était dans une dynamique positive puisqu’on est passé d’un déficit de plus d’un million d’euros en 2018 à 55 000 euros en 2019. Mais le Covid nous a été fatal. Baisse de la pub, des annonces légales. Et on a dû renoncer à imprimer le titre pour le diffuser gratuitement sur le net. Malgré les garanties de l’État, les banques ont refusé de nous prêter de l’argent et on n’a pu honorer toutes nos factures. »
Un Mondial à pétanque convoité
Ce n’est pas la première fois que le quotidien régional est dans la tourmente. La situation ne surprend donc « malheureusement pas » la communiste Audrey Garino, ancienne patronne du titre et désormais adjointe aux Affaires sociales. Mais, alors que se prépare une offre de reprise de Maritima Médias (une télé, une radio et un site web financés par la ville de Martigues), surprise en voyant surgir une offre de… La Provence ! Alors, la veille de la date butoir, à la mi-août, les salariés manifestent devant le siège du quotidien, ciblant en particulier celui qu’ils soupçonnent être derrière cette initiative, le milliardaire Xavier Niel, d’ores et déjà présent à Nice-Matin.
« Niel, Niet ! », lit-on sur une banderole. Ou « Va concentrer ailleurs ! ». Emilie Parente, du SNJ-CGT, n’y va pas par quatre chemins : « Vos millions ne peuvent pas tout. N’essayez même pas de déposer votre offre sans quoi on va vous faire la misère. La Marseillaise sera votre Vietnam ! » La crainte ? Que le quotidien disparaisse, qu’il ne soit conservé qu’une poignée de salariés. Et, comme le redoute Pierre Guille, le patron du Mondial à pétanque, que le concurrent historique ne s’empare de cette « pépite ».
Si le député PC et ancien patron de La Marseillaise Pierre Dharréville ou l’adjoint communiste à la Culture Jean-Marc Coppola ne sont pas là, on croise la patronne de Zibeline, des journalistes de La Provence, un ancien de l’Huma… Même le président (LR) de la Région, Renaud Muselier, affiche sa préférence pour Maritima. Un projet qui, en associant le groupe martégal à des investisseurs privés mais aussi les salariés au sein d’une coopérative, permettrait de maintenir « les emplois, la zone de diffusion et la ligne ».
Le lendemain, La Provence retire son offre. Et, confirmant une information de Mediapart, l’entourage de Xavier Niel nous explique que ce dernier, actionnaire minoritaire dans le journal de Bernard Tapie, ne s’est « jamais penché sur ce dossier ». Et d’ironiser : « En voyant La Provence s’y intéresser, les gentils révolutionnaires marseillais ont fait un raccourci pour mieux dénoncer l’attitude prédatrice du méchant milliardaire parisien ! »
La concentration de la presse renforcée
Alors que le tribunal de commerce se prononcera le 22 septembre, le SNJ-CGT s’est félicité du retrait de La Provence tout en espérant que Maritima tiendra « ses promesses », plaidant pour une véritable « relance du titre ». De fait, à La Provence aussi, avec la liquidation judiciaire du groupe Bernard Tapie, les salariés sont dans l’expectative. Et ce qui se passe à La Marseillaise en dit long sur les difficultés du secteur. La faute à, dixit le sociologue des médias Jean-Marie Charon, « l’épidémie de coronavirus. La crise sanitaire et le confinement ont eu un impact particulièrement négatif pour la presse locale. Les titres ont dû faire face à une baisse de leur diffusion, des ressources publicitaires. Et même, côté contenus, à une raréfaction des sujets sur lesquels ils s’appuient d’ordinaire : le sport, la vie associative ou institutionnelle… Les journaux les plus touchés sont ceux qui avaient déjà des fragilités. Et qui, par exemple, n’avaient pas encore étoffé leur offre numérique. »
En revanche, le chercheur avoue ne pas « avoir une vision claire de la stratégie d’investissement dans les médias de Niel ». Récemment, celui-ci a joué les « sauveurs » en rachetant les journaux du groupe France Antilles et coiffé au poteau le poids lourd de l’impression, Riccobono, en s’emparant d’un autre groupe en difficulté, Paris Turf, basé notamment à Aix-en-Provence. De quoi faire ressurgir ce vieux serpent de mer que serait la constitution d’un « arc méditerranéen ».
Le sociologue reste circonspect, rappelant toutefois que « la concentration dans la presse locale n’est pas une nouveauté ». Elle s’est même renforcée, Paris-Normandie venant de tomber dans l’escarcelle du groupe belge Rossel. Mais, comme le note le secrétaire général du SNJ-CGT, Emmanuel Vire, « la concentration, elle se fait aussi du côté des imprimeries ». Un plan se dessine en effet où ne survivrait que les deux tiers des imprimeries situées dans les régions, avec suppression de la moitié des machines et de 60 % des salariés ! Alors qu’un unique centre d’impression doit voir le jour entre Marseille et Nice, Niel suivrait, nous dit-on, « avec attention » ce projet. Ça y est, fin août, avec son plan à 400 millions d’euros pour la presse, Roselyne s’est réveillée. C’est les survivants qui vont être contents !