Sur chaque rive, une solidarité virale
Les grandes chambres froides de l’ancien fast-food permettent de stocker le périssable et le drive de maintenir les gestes barrières. Des équipes se relaient 24h/24 pour réceptionner les livraisons. Deux tonnes de produits sont livrées chaque jour et permettent de confectionner une centaine de paniers, « là où il en faudrait plus d’un millier pour que tout le monde mange à sa faim », se désole Salim Grabsi, du Syndicat des quartiers populaires de Marseille (SQPM), à l’origine de l’opération.
Depuis mi-avril, le Mc Donald’s Saint Barthélémy dans les quartiers nord de Marseille (14e) a été réquisitionné par des bénévoles pour le transformer en plate-forme solidaire de redistribution alimentaire et de produits d’hygiène à destination des plus démunis. « Si on ne s’occupe pas des quartiers nord qui le fera ? », souligne Kamel Guémari, délégué syndical et figure de la lutte de ce restaurant Mc Donald’s.
Pendant deux ans, les 77 salariés de ce fast-food ont mené un combat acharné face au géant de la malbouffe pour sauver leurs emplois et ce lieu de vie des quartiers Nord. Mais en décembre le restaurant est mis en liquidation judiciaire et les locaux cadenassés. Désormais, grâce à une poignée de volontaires – et contre l’avis de Mc Donald’s France – le lieu a repris vie illégalement et une autre lutte s’y poursuit, celle de pouvoir nourrir pendant le confinement, le plus grand nombre de précaires via des paniers repas.
« Ce virus a fait tomber les masques du système dans lequel on vit. Là où habituellement des familles se débrouillent pour survivre, avec ce confinement, elles n’arrivent même plus à se nourrir », insiste Kamel Guémari qui espère que Mc Donald’s France aura la décence de ne pas engager de poursuites. « Le président a dit que c’était la guerre ? Et en temps de guerre, on réquisitionne. Il s’agit donc d’une réquisition citoyenne ! », revendique Salim Grabsi.
A la place des institutions
Depuis le début du confinement, en Paca comme dans d’autres pays de la Méditerranée, les initiatives solidaires pallient, au pied levé, le manque de réactivité des gouvernements et pouvoirs publics. Nombre de citoyens prêtent main forte aux associations existantes, d’autres ont créé leurs propres initiatives. Trois matins par semaine, Fanny vient bénévolement servir les petits-déjeuners d’Emmaüs Marseille aux sans-abris. « C’est une période particulière, où tous les invisibles nous sautent aux yeux, et où l’on a besoin de se sentir utile et d’apporter son aide, explique la trentenaire. Bien sûr, c’est à double tranchant parce qu’on fait le boulot des institutions, mais cette solidarité fait plaisir à voir. » Est-ce que pour autant cela augure un changement de société ? La jeune femme en doute : « D’un côté il y a toute cette générosité et de l’autre les ventes d’Amazon explosent… Donc, à moins que nos gouvernants ne prennent les décisions qui s’imposent, je doute que les citoyens changent leur façon de consommer. »
Récupérer des tissus par-ci, des élastiques par-là, déposer le tout chez une vingtaine de couturières bénévoles, et ensuite livrer les masques terminés aux associations en demande et à ceux qui en ont le plus besoin… Depuis plus de quinze jours, Vincent Desombre ne chôme pas. Réalisateur sans boulot depuis le début du confinement, plutôt que de rester chez lui à se lamenter, il a choisi d’agir : « J’ai passé du temps au Vietnam ces derniers-mois, et là-bas le port du masque fait partie des habitudes, ici ce n’est pas le cas, on sent le regard des gens sur soi quand on en porte un. Pourtant à terme on devra tous en mettre un, alors autant équiper le plus grand nombre. »
Vincent Desombre fait en sorte de trouver de jolis tissus colorés pour égayer le tout. « Les masques sont aux normes et les règles d’hygiène sont respectées à chaque étape », souligne-t-il. Son rêve ? Voir les forces de l’ordre porter un de ses masques à fleurs ou à cœurs ! Pour lui cette période est créatrice de nouvelles solidarités citoyennes : « On se rend compte que ce qui marche c’est la proximité, les actions de quartiers. Loin du modèle associatif traditionnel, des réseaux et du clientélisme. »
Paniers solidaires et respirateurs
En Italie, Andrea, graphiste napolitain de 37 ans, a lui aussi choisi d’aider, à sa manière, en faisant les courses aux personnes âgées et à risques de son quartier. « Jusqu’ici, je vivais plutôt de manière autocentrée, souligne-t-il. Entre le travail et ma vie sociale, je pensais n’avoir du temps pour rien d’autre. Mais cette période inédite que nous vivons replace les choses dans le bon ordre. » Ce dernier explique que dans sa ville une autre initiative a vu le jour, celle des paniers suspendus « Panaro Solidale ».
Naples est l’une des villes les plus pauvres d’Italie, nombre de travailleurs ne sont pas déclarés et avec l’arrêt de l’ activité économique beaucoup d’entre eux n’ont plus de quoi se nourrir. Angelo Picone, président d’une association d’artistes de rue, très impliqué dans la vie de la cité a eu une idée, inspirée de celle d’un médecin napolitain du début du XXe siècle, Giuseppe Moscati, canonisé depuis, qui tendait son chapeau en fin de consultation. Les patients qui avaient de l’argent payaient, ceux qui n’en avaient pas prenaient. Pour les paniers suspendus aux balcons des immeubles c’est le même principe, ceux qui le peuvent déposent des produits alimentaires, ceux qui en ont besoin les prennent.
Côté espagnol, les initiatives se multiplient aussi. Jusque sur les îles Baléares. Minorque vit essentiellement du tourisme, mais actuellement son économie est à l’arrêt. « On parle d’une chute du PIB de 30 % ici contre 8 % dans le reste de l’Espagne », explique Cédric Balauze, guide touristique français installé sur l’île en famille depuis plus de dix ans. D’habitude sur son site web Minorque Vacances, il distille les bons plans pour profiter au mieux de son séjour sur place, mais depuis le début du confinement il y répertorie les initiatives solidaires et informe la population sur l’évolution du Covid-19.
L’archipel est pour l’instant moins impacté que le reste du pays. Mais la solidarité reste de mise, même chez les entrepreneurs locaux. « Les fabricants de chaussures – autre spécialité minorquine – se sont mis à faire des masques et des combinaisons de protection », explique Cédric Balauze. Le gouvernement réfléchit quant à lui à l’instauration d’un revenu universel qui pourrait perdurer après la crise. L’île abrite aussi un hôte de marque, ex- premier ministre français et candidat aux municipales à Barcelone, Manuel Valls, confiné dans la somptueuse villa de sa nouvelle épouse, héritière d’un grand groupe pharmaceutique. Sa solidarité à lui s’exprime surtout à destination d’Emmanuel Macron, encensant par tweet chacune de ses allocutions dans l’espoir d’un remaniement ministériel post Covid, dont il espère faire partie…
À Gaza, la solidarité permettra sûrement de sauver des vies. « Pour l’instant les quelques cas de Covid-19 ont été contenus. Mais si ça prend de l’ampleur, on court à la catastrophe », souligne Pierre Stambul, vice-président de l’Union juive française pour la paix (UJFP) qui s’est associée avec d’autres associations palestiniennes pour contribuer massivement à l’achat de masques et de matériel hospitalier « afin de prendre de vitesse l’épidémie. Si ça flambe, il faut que la population soit en état de se défendre ». Pour l’instant 35 000 euros ont été récoltés, mais le militant explique qu’il est impossible de faire entrer du matériel dans l’enclave, c’est donc de l’argent qui est envoyé. Aux associations sur place de se débrouiller pour trouver les équipements. Pour certaines populations, rester en vie tient à bien plus qu’un confinement…