A la Belle-de-Mai, l’entraide citoyenne face au coronavirus
Ils sont nombreux, les oubliés du confinement. Dans les quartiers les plus précarisés de Marseille, le confinement rime parfois avec fin du travail informel, absence de revenus et peur de se faire contrôler pour les personnes en situation d’irrégularité. Pour que les plus vulnérables ne soient pas abandonnés à leur sort, le Collectif des Habitants Organisés du 3ème arrondissement, émanation de l’association L’an 02, coordonne un réseau d’entraide entre voisins. Grâce à une plateforme téléphonique ouverte de 15h à 18h tous les jours, la vingtaine de coordinateurs met en relation ceux qui ont besoin d’aide et ceux qui peuvent en fournir. Via un système de compagnonnage entre un binôme et deux à trois foyers maximum, l’objectif est d’aider ceux qui en ont besoin pour se ravitailler, mais aussi à démêler des situations administratives complexes ou à trouver des solutions au manque de ressources criant. « On a constaté très vite que la Belle de Mai était laissée sur le carreau avec les événements, et avec notamment la fermeture des points de distributions de la Croix Rouge ou des Restos du Cœur pour des raison sanitaires, on a décidé d’accélérer un peu la solidarité locale qui existait déjà » explique Pauline, l’une des coordinatrices du collectif.
Selon les besoins des familles dont ils s’occupent, les compagnons s’adaptent. Bénévole depuis un peu plus de deux semaines, Juliane est en contact deux à trois fois par semaine avec une famille de deux adultes et deux enfants, dont un de huit mois, privée de ressources du fait du confinement. Pour leur venir en aide, elle avance un peu d’argent pour leur faire le plein de courses, qui lui sera remboursé par le collectif. Un geste grandement apprécié par la famille, qui n’a pas manqué de lui dire sa reconnaissance dès le déballage des courses. Mais « le vrai objectif c’est de les ravitailler sans qu’ils aient à sortir de chez eux, étant donné qu’ils sont en situation d’irrégularité. Je suis allée il y a dix jours récupérer pour eux le panier de fruits et légumes distribué par la Métropole par exemple. C’est la priorité, mais pour l’instant il y a trop peu de distribution. On ne fait les courses et n’avance d’argent que si c’est absolument nécessaire, pour compléter. » appuie-t-elle. Une fois par semaine, elle se fait le relais entre la famille et le collectif, pour faire remonter leurs besoins. En l’occurrence, c’est principalement de couches et de lait maternel dont manque la famille.
400 adultes et autant d’enfants
Ces besoins, les quelques vingt coordinateurs œuvrent à les recenser, mais aussi à mettre en relation les familles, à dresser la liste des problèmes que rencontrent les plus démunis, à effectuer une veille des associations et des initiatives encore actives malgré le confinement et indiquer vers qui rediriger les personnes précarisées. « On veut aider les oubliés, les invisibilisés, ceux qui vivent du travail informel, ceux qui n’ont pas de papiers, ceux qui logent dans des squats, et qui vivent dans la terreur depuis le début du confinement, plus encore qu’avant » se désole Pauline, qui ne peut que constater les limites d’une telle initiative citoyenne. « Le numéro gratuit a très vite circulé. Aujourd’hui, on a environ 200 accompagnants pour plus de 400 adultes et autant d’enfants à accompagner. On a mis sur pause pour une semaine les inscriptions parce qu’on commence à être dépassés. Donc on réfléchit à une meilleure organisation, une meilleure coordination, qui dure sur le long terme. Mais on ne peut pas tout faire à la place des pouvoirs publics, qui ne nous viennent pas suffisamment en aide, voire pas du tout » déplore Pauline. Gaël, membre, lui aussi, de la coordination du collectif et compagnon, craint de faire « gratuitement, et moins bien, le boulot des travailleurs sociaux. Mais on n’a pas le choix, les actions de la mairie, de la Métropole ou de la préfecture sont insuffisantes. »
Un constat partagé par Emilia Sinsoilliez, institutrice à l’école maternelle Révolution, dans le 3ème arrondissement. Avec quelques collègues enseignants, elle a créé dès le 18 mars une cagnotte pour distribuer un peu d’argent aux familles privées de revenus par le confinement, à l’instar de plusieurs autres établissements scolaires. Des familles très précaires, parfois sans-abri et/ou sans-papiers, identifiées déjà avant le confinement par les enseignants. L’initiative, soutenue par le collectif des habitants organisés, a déjà permis de réunir près de 9 000 euros, redistribués à raison de 20 à 30 euros par semaine et par personne à vingt-cinq familles, soit 110 personnes. Des dons financiers, complétés par des distributions alimentaires possibles grâce à un riche tissu associatif. Si l’institutrice constate qu’il y a « beaucoup de belles choses qui se passent, beaucoup de solidarité qui se met en place », elle sait aussi qu’il reste « beaucoup de choses à faire et peu de mobilisation des pouvoirs publics ».
Actions parallèles
Pourtant, la maire des 2ème et 3ème arrondissement, Lisette Narducci (ex PS et ex PRG, proche de Jean-Noël Guérini. Lors des élections municipales de mars dernier, elle soutenait Bruno Gilles, Républicain dissident, Ndlr), assure mettre tout en œuvre pour venir en aide aux populations précarisées : « J’ai personnellement appelée 300 personnes, je m’inquiète beaucoup des familles et des seniors qui sont potentiellement dans des situations inextricables. ». Lisette Narducci explique même avoir monté une cagnotte, distincte de celles des écoles et de celle du collectif. « On est en contact avec les associations et les citoyens pour répondre aux besoins signalés le mieux possible, se félicite-t-elle. Nous avons reçu 120 familles à la mairie, identifiées comme en difficulté par des directeurs d’écoles, et leur avons distribué des paniers de produits frais et de longue conservation obtenus grâce à des dotations d’enseignes. »
Et en effet, la mairie est entrée en contact avec certaines associations, dont les Restos du Cœur avec qui elle a signé une convention. Le Collectif des Habitants Organisés, cependant, n’a pas eu l’honneur d’un coup de téléphone. « J’ai entendu parler du collectif bien sûr, mais ils n’ont pas cherché à me joindre. Et je n’ai pas participé à leur cagnotte parce que nous avons la nôtre. Je vois cependant toute la publicité qui est faite sur les réseaux sociaux, mais je considère qu’il y a des actions qu’il n’est pas besoin d’étaler, surtout dans ce type de solidarité de crise » justifie Lisette Narducci. Pauline assure pourtant avoir essayé d’entrer en contact avec la mairie de secteur, injoignable pendant plus de deux semaines du fait « du hacking dont la mairie a fait l’objet au moment des élections municipales… »
C’est donc sans la mairie que le collectif agit. Quant à la Métropole, son action est trop limitée, d’après Pauline : « les services de la métropole ont distribué des paniers de fruits et légumes, mais ça ne suffit pas. Ce sont de produits secs, longue conservation et de produits d’hygiène dont manquent les gens ». Pour Gaël, la situation n’a rien d’étonnant : « Ce qu’il se passe actuellement n’est pas seulement dû au confinement, c’est avant tout le produit des politiques antérieures. On est abandonnés, mais ça on le savait déjà. »
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Cagnotte Solidarité familles quartier Belle -De-Mai
Cagnotte Belle de M’Aide des écoles Révolution
Cagnotte d’aide aux familles des écoles National et Pommier