Ma santé va craquer
Ils sont près d’une centaine de blouses blanches, ce 30 juin, dans un amphithéâtre de l’hôpital de la Timone, réunis en assemblée générale du CIH (Collectif inter hôpitaux) de l’Assistance publique des hôpitaux de Marseille (AP-HM). « Il faut continuer à se mobiliser avant les vacances sinon on va se faire avoir ! », tance l’un des représentants au pupitre. Une autre, à ses côtés : « Un seul pilier du Ségur avance, celui des rémunérations. Six milliards d’euros (1) viennent d’être annoncés mais on ne sait pas comment, ni quand. Et sur les autres dossiers, la gouvernance, la qualité de vie et les territoires, rien. »
Portés au rang de héros après la crise sanitaire, les soignants ont comme l’impression de se faire entuber. Le Ségur de la santé, grand raout pour l’avenir d’un secteur en lambeaux depuis de nombreuses années, a démarré le 25 mai. Il devait rendre ses conclusions mi-juillet mais sa clôture a été reportée au moins d’une semaine. Les soignants réclament certes une hausse de salaire de 300 euros pour le personnel non médical et le dégel du point d’indice mais surtout des bras, des lits et une réorganisation totale de l’hôpital. Mais qu’attendre de concret ? A son ouverture, le ministre de la Santé, Olivier Véran, déclarait que « le diagnostic et les orientations » proposées par son prédécesseur dans la loi « Ma santé 2022 » « sont bons » mais que « nous n’avons pas été assez vite ni assez forts »…
« Cette loi prévoit la fermeture de 300 hôpitaux ou du moins des services et des lits, s’indigne William Maury, secrétaire adjoint à la CGT santé des Alpes-de-Haute-Provence et infirmier psychiatrique de profession. Les hôpitaux des départements de faible population sont menacés. Il faudrait forcer les médecins à s’installer trois ou quatre ans dans les déserts médicaux. » Afin de mieux coordonner la médecine de ville et les urgences dans le but de les soulager, il propose aussi que des libéraux s’installent à l’hôpital pour y faire de la « bobologie » et ainsi de réaliser un premier tri.
« On est à l’os ! »
Lors de la manifestation organisée le 30 juin au départ de la Timone, Valérie Helbois, infirmière depuis trente ans à l’AP-HM, témoigne : « Ce dont on a besoin, ce sont des recrutements, améliorer nos conditions de travail. On fait plus d’administratif que de soin. On a perdu l’humain. On est parfois chronométré pendant les actes. Mais ce qui compte c’est la qualité du soin. On ne peut pas gérer un hôpital comme une conserverie ! »
Un peu plus loin, Justine (2), qui fait partie du personnel administratif , se dit en « souffrance ». pour elle, il faut supprimer la tarification à l’acte, la fameuse T2A. « Avec cette gestion comptable, il faut justifier chaque acte. On perd beaucoup de temps et c’est le patient qui le paie. » « Ce n’est pas du tout la même chose de soigner une fracture d’un genou si c’est un jeune de 23 ans ou quelqu’un de 83 ans… », fulmine André Schiano, délégué syndical FO à l’hôpital d’Orange (84).
Une autre logique comptable est aussi dénoncée : celle de l’Ondam (Objectif national des dépenses d’assurance maladie) qui finance l’hôpital public. « Cette somme augmente de 2,1 % par an, sauf que les dépenses courantes augmentent elles de plus de 4 %, explique André Schaino. On n’a plus les moyens d’assurer un service de qualité. » Pour Thierry Merrot, chirurgien pédiatrique en fin de carrière rencontré lors d’un « jeudi de la colère » devant la Timone, « il faut tout réorganiser ! S’il n’y a pas de big bang, il y aura un big crunch. On est à l’os ! »
Dans le cortège du 30 juin, on trouve aussi des techniciens de laboratoire. Charlotte Giamarchi a monté une page Facebook nationale : « Nous ne sommes pas considérés, notre boulot est important mais nous ne sommes pas représentés au Ségur ! » Un collègue qui travaille à l’IHU abonde : « les 150 000 tests de Raoult, ce n’est pas lui qui les a faits ! » Derrière cette mobilisation où chacun espère arracher quelque chose se joue aussi la désunion des syndicats. L’attribution des primes Covid n’y est pas pour rien. A Orange, où seize lits ont été mis en place, les personnels n’ont touché qu’une prime de 500 euros au lieu des 1500. « Les critères d’attribution de cette prime sont scandaleux, estime Solange Teulière, secrétaire Sud santé à l’AP-HM. Tout le monde aurait dû la toucher, ne serait-ce que pour le rattrapage du point d’indice qui n’a pas bougé depuis 20 ans ! […] Les gens se recroquevillent un peu sur leur statut mais une catégorie ne gagnera pas toute seule. Là, c’est ça passe ou ça casse », argue-t-elle.
Dans un entretien à la presse locale le 2 juillet, Emmanuel Macron annonçait des crédits pour rénover les hôpitaux et investir dans « le numérique ». Dans son ouvrage Marseille 2040 publié en 2018, le journaliste Philippe Pujol dépeint un système de santé axé sur l’automatisation, l’intelligence artificielle et le partage de données personnelles après un grand « flash », « pire que ce virus », éclaire-t-il, à partir d’un travail documentaire de prospective. « Plus que jamais, les gens sont prêts à partager leurs données, nous explique-t-il. On peut très vite arriver à une grande « transparence » avec des capteurs, des vêtements intelligents etc. Cela peut être terriblement efficace et même avoir l’air cool. Il y a rien de plus dangereux que le cool. Et si les soignants sont délestés avec cette transparence, avec moins de tâches administratives, ils l’accepteront. » Réaction du chirurgien Thierry Merrot : « Quand un patient mourra, ce sera un humain qui lui donnera la main, pas une intelligence artificielle… »
1. Autour de 7 milliards, finalement, début juillet.
2. Le prénom a été changé.