Dans les Hautes-Alpes, on achève bien les réfugiés
Deux petites maisonnettes de style alpin et un gros bâtiment de béton, voilà à quoi ressemble le squat « Chez Roger » à Gap ouvert à la fin du mois d’août et qui accueille une vingtaine de réfugiés dont quelques mineurs. Roger, du nom… du maire (Divers droite) Roger Didier (1) à qui ces bâtiments appartiennent en partie à travers sa belle-famille. L’ouverture de ce lieu est aussi le dernier épisode d’une bataille qui mêle militants associatifs, militants « anars » et citoyens engagés contre les pouvoirs publics.
L’afflux de réfugiés à Gap commence à devenir sérieux en 2017 avec des mineurs débarqués à Briançon par la montagne pour se faire déclarer au Conseil départemental qui doit légalement les mettre à l’abri via l’Aide sociale à l’enfance. « Mais il n’y avait rien pour les accueillir à l’époque avant que le département mette en place des hébergements d’urgence avec un encadrement très précaire », détaille Cécile Leroux membre du Réseau hospitalité de Gap. Elle dénonce toujours l’attitude du département qui ne reconnaît que très peu de mineurs lors de leurs évaluations. Des « manquements scandaleux » compilés dans un rapport de l’ONG Human watch rights en septembre 2019.
Chez Roger
Mais déjà, en octobre 2016, la « maison Cézanne » est occupée pour « loger les exilés sans toit ». Deux ans plus tard, une vingtaine de personnes y sont expulsées. Immédiatement, un autre squat est ouvert, « le Césaï », un centre social autogéré. Des mineurs, des femmes, des enfants s’y retrouvent dans des conditions parfois difficiles mais sans lieu de repli et peuvent rencontrer des associations comme Médecins du monde ou le Réseau hospitalité. Le maire Roger Didier ne veut visiblement rien entendre, fermé au dialogue. « Nous n’avons jamais obtenu quoi que ce soit de la mairie, désespère Cécile Leroux. Aucune aide alimentaire, aucun local… Aucune humanité. Si on veut faire une petite fête, on se tourne vers l’Église, qui elle nous aide. »
Les 51 occupants du Cesaï (il y en a eu jusqu’à 70) sont finalement délogés, le 19 août dernier, à la suite d’une décision de la cour d’appel de Grenoble mais « sans qu’aucun huissier ne nous mette en demeure », explique Aube, l’un des membres du Cesaï. Les portes et fenêtres sont murées par les services techniques de la ville… Les familles avec enfants sont placées au camping mais environ 25 personnes sont à la rue et camperont quelques nuits devant la préfecture avant de se faire chasser à nouveau. D’où l’ouverture de ce nouveau squat au nom ironique. « On est parti pour rester, appuie Aube. « Chez Roger », c’est aussi pour interpeller, se faire entendre. »
Invisibles
Inoccupé depuis plus de dix ans, le gros bloc de béton était auparavant loué par l’Afpa. Quelques palettes de bois garnissent l’entrée. L’électricité a été coupée il y a peu mais l’eau est encore disponible. À l’étage, de grands couloirs et des box qui servent de chambres. Des « travaux » viennent d’être faits pour remettre en route douches et sanitaires. En bas, dans la grande salle qui sert de cuisine, une grosse marmite fume. Ce midi, c’est riz et légumes. « Sans électricité et sans chauffage c’est compliqué », raconte Moussa, en attente d’une réponse pour sa demande d’asile, sa petite de 15 mois dans les bras. Un autre Moussa, grand et longiligne, a lui la chance de vivre en appartement. Mais il vient régulièrement ici pour aider et voir ses amis. Moïse, originaire de Guinée Conakry, insiste sur l’importance et le soutien des associations car « rien n’est gratuit en France ».
Nadine, elle, est bénévole. Elle vient tous les jours faire du ménage, essaie de maintenir quelques règles d’hygiène et gère les flux de nourriture. « Ça se passe bien dans l’ensemble même s’il y a parfois des tensions entre communautés. Mais on a besoin de viande, de poisson, de café, de tables et de chaises… » Aube explique que l’objectif est que les résidents se gèrent eux-mêmes, « que ce ne soit pas “le blanc” qui s’occupe de tout, qu’ils soient autonomes. Mais dans les faits, ce n’est pas toujours simple ».
Par mail, la préfecture s’est contentée de donner au Ravi le nombre de places d’hébergement dans le département (250) et les 14 millions d’euros dépensés dans ces dispositifs. « Cela me rend malade que des gens soient obligés de vivre dans ces conditions. Mais sinon c’est la rue !, s’indigne Cécile Leroux qui se dit usée par ce combat. Lors des réunions en préfecture, c’est toujours le même discours : le fameux appel d’air, on les accueillerait trop bien ! Mais c’est une légende l’appel d’air ! Cet été, à la frontière italienne, le flux a été assez important et ce sont des gens qui empruntent la route des Balkans, des Afghans, des Syriens… Il y en aura toujours. Nous ne sommes pas confrontés à une crise migratoire mais à une crise politique de la gestion de ces migrations ! L’État cherche à invisibiliser ces gens. » Ils sont bel et bien là.
1. La mairie de Gap n’a pas donné suite à nos sollicitations.