La double peine des Bédouines du Néguev
Les Bédouins d’Israël sont environ 276 000 à vivre principalement dans le désert du Néguev, mais aussi en Galilée, certains autour de Jérusalem et d’autres dans les territoires occupés. Ils représentent 3,5 % de la population. « Ce sont des citoyens israéliens avec en théorie tous les droits qu’impliquent cette citoyenneté, mais en pratique un tiers vit dans des villages « non reconnus » dans le sud d’Israël qui n’ont ni routes, ni infrastructures, ni services publics », explique Sohela Ghattas, avocate de l’association israélienne Itach-Ma’Aki. « Il s’agit de la communauté la plus défavorisée de la société israélienne », poursuit-elle.
En novembre dernier, 70 structures appartenant à une communauté bédouine palestinienne vivant à Homsa al Baqia, dans la vallée du Jourdain, ont été détruites par l’armée israélienne. D’après l’Onu c’est la plus grande opération de démolition qui ait eu lieu en Cisjordanie occupée depuis quatre ans. Cette association – qui signifie « Avec vous » en hébreux et en arabe – est composée d’avocates israéliennes qui défendent les femmes privées de leurs droits et tentent de faire bouger les lignes du politique. Le but étant de faire progresser les droits des femmes issues de groupes marginalisés en Israël, et notamment ceux des femmes bédouines.
Femmes marginalisées
Pour ces dernières, la situation est encore pire. Comme l’écrit l’anthropologue, sociologue et militante féministe bédouine, Sarab Abu-Rabia Queder (1) : « La femme bédouine est marginalisée deux fois : une fois, en tant que membre d’une minorité bédouine parmi une majorité juive israélienne et une minorité arabe, et encore une fois, en tant que femme dans une société bédouine dominée par les hommes. » Et Sohela Ghattas de préciser : « Elles font face à une série de dangers quotidiens autant à la maison que dans la communauté. Elles sont constamment surveillées et ont un accès limité à la sphère publique, en particulier à l’éducation et à l’emploi. Les filles sont forcées de porter le voile et ont interdiction d’interagir avec les hommes en public. À ce jour, elles sont nombreuses à ne pas être autorisées à aller à l’école pour empêcher qu’elles ne soient en contact avec des garçons d’autres communautés. »
La vie même des femmes bédouines dépend « des caprices des hommes qui les contrôlent », explique l’avocate. Dans cette communauté musulmane très patriarcale, « un homme peut divorcer de sa femme à tout moment, pour n’importe quelle raison, alors que ce droit n’est pas accordé aux femmes. Pire encore, une femme peut se retrouver divorcée à son insu », poursuit-elle. Une épouse abandonnée par son mari se retrouve dépouillée de tous ses droits acquis pendant le mariage. La femme bédouine perd alors sa maison, ses biens, son argent, et automatiquement la garde de ses enfants. En effet, La croyance traditionnelle veut que, dans l’intérêt supérieur des enfants, ces derniers vivent avec leur père, qui est le tuteur légal. « Il est essentiel de noter que cela ne reflète pas les lois civiles mais plutôt une pratique stricte dans le Néguev, dictée par les normes sociales patriarcales et les défis de l’application de la loi », souligne Sohela Ghattas.
Au sein de la société bédouine, la polygamie est encore présente, environ 18 % des familles sont concernées. Une situation qui met à mal le statut de la femme au sein de son propre foyer et plonge le plus souvent la communauté dans la pauvreté en raison des exigences financières que cela impose d’avoir une famille nombreuse. Seulement 25 % des femmes bédouines ont un emploi (chiffres avant Covid). « Les règles imposées restreignent la capacité des femmes bédouines à se déplacer et à travailler librement, souligne Sohela Ghattas. Ces règles sont souvent imposées non seulement par la violence culturelle mais aussi par la violence physique. »
Victimes de violences
En 2013, Itach-Ma’aki a réalisé un rapport complet sur le phénomène des violences domestiques au sein des foyers bédouins dans le sud d’Israël. 96,9 % des femmes interrogées ont décrit des actes de violence répétés. 78,7 % des femmes disaient se sentir responsables de la violence dirigée contre elles. 79 % déclaraient avoir été victime de violences de la part de leur époux, 30 %, simultanément de leur père, de leur(s) frère(s) et de leur mari. Pour plus de la moitié, les agressions ont commencé dès l’enfance. 90 % des Bédouines ont à affronter à la fois les violences physiques, psychologiques, économiques et sexuelles. Dans 64 % des cas, l’agression subie nécessitait un traitement médical, mais dans la réalité très peu y ont recours.
L’État israélien n’apporte aucune solution à ces femmes. C’est à Beer-Shiva, dans le sud d’Israël, aux portes du Néguev, que l’association a choisi de créer en 2006, le Centre des droits des femmes bédouines, un lieu ressource qui leur permet d’accéder à des aides juridiques et sociales. Et avec la mise en place d’une hotline, les plus éloignées de la ville peuvent aussi obtenir des informations. « Nous assistons les femmes victimes de violence en déposant des plaintes auprès de la police, en suivant et en identifiant les problèmes qui peuvent survenir au moment de l’enquête, les erreurs de traduction, de reconnaissance en matière de droits des victimes, etc. Et nous les représentons devant les tribunaux », explique Sohela Ghattas. L’association porte aussi la parole de ces femmes dans différentes commissions et devant la Knesset, dans l’espoir que l’État israélien prenne enfin ses responsabilités. Itach-Ma’aki tente par ailleurs de sortir les femmes de leur dépendance financière en essayant de trouver des alternatives pour qu’elles puissent subvenir à leurs besoins, en développant leurs compétences.
Mais le Covid est venu comme ailleurs ajouter de la précarité à la précarité. Certaines se sont trouvées dans l’incapacité de payer leur loyer et de nourrir leurs enfants. « À plusieurs reprises, notre coordinateur de Beer-Sheva a dû organiser des colis alimentaires, ce que nous n’avions jamais fait auparavant », note l’avocate. Les aides mises en place par l’État sont le plus souvent inabordables pour les femmes bédouines, à cause d’un problème d’accès à la langue et à la technologie, à internet ou au téléphone. « Le gouvernement a dit qu’il trouverait des solutions pour de tels cas. Nous continuons de surveiller la situation », conclut Sohela Ghattas, déterminée.
Lorsque l’armée israélienne rase des villages bédouins c’est bien souvent pour que des colonies s’y installent. Itach-Ma’aki défend aussi les droits des femmes juives ultra orthodoxes qui, là encore, évoluent dans une communauté très patriarcale à laquelle elles sont soumises. « Dans une des prières, on bénit Dieu de n’être né ni goy, ni femme, ironise Pierre Stambul, vice-président de l’Union juive pour la paix (UJFP). Les femmes se tondent la tête et portent des perruques pour ne pas tenter le voisin. Certains rabbins veulent qu’elles soient reléguées à l’arrière des bus, ou refusent de s’asseoir à côté d’elles dans les avions.» Et le vice-président de l’UJFP de conclure : « Pire ! Pour une épouse, l’acte sexuel est quasiment obligatoire, le jour de shabbat, quelles que soient les circonstances. »
1. Première femme bédouine à recevoir un doctorat.