Ceci est mon corps
Une femme-tronc nue et tatouée protège son sexe avec sa main gauche de six mains d’hommes munies de ciseaux, rasoir, coupe-choux et tondeuse. En juillet dernier, la photo s’étale en 4X3 sur la devanture d’un barbier d’Aix en Provence. « Ni tête, ni jambe, le corps de la femme est utilisé comme un objet publicitaire. Ce sexe entouré de mains d’hommes tenant à la main des objets tranchants est une atteinte à la dignité de la personne », explique Marie-Paule Grossetête, présidente d’Osez le féminisme 13. L’association et le collectif 13 Droits des femmes saisissent alors le jury déontologique publicitaire qui leur donne raison. « Dans l’espace public comme dans l’espace privé, le corps de la femme n’est qu’injonctions, il doit redevenir sujet », poursuit la militante.
Du fessier de Fanny aux pilotis de la Cagole, de la sensualité nostalgique d’une BB à la sexualité dite débridée d’une Clara Morgane, de Loana tout seins dehors qui est forcément une salope, à une Mireille Mathieu tout seins cachés qui est forcément une vierge immaculée, du voile qui est forcément imposé, au bikini qui est forcément exposé… Parce que le soleil y brille plus longtemps, et que la chaleur aidant on s’y dénude plus volontiers, dans le Sud, peut-être plus qu’ailleurs, le corps des femmes est fantasmé. Mais en Paca elles ont aussi pour elles leur parler haut qui n’a pas attendu #metoo ou #balancetonporc pour se faire entendre. Et loin de se laisser imposer un corps objet, elles en font bien souvent un corps politique.
De femme objet…
En août dernier a eu lieu à Marseille, l’élection de miss Cagole, la dernière en date remontait à 1997. Une boutade plus qu’autre chose mais qui remet à l’honneur cette figure emblématique de la région. Féminine à l’extrême, jusqu’au bout de sa french’, la Cagole tire son nom du tablier des ouvrières d’usine à dattes, le cagoulot, des travailleuses mal payées obligées de se prostituer pour finir le mois. Le côté péjoratif vient de là. A moins que l’origine ne soit le mot « Caga » lequel, en provençal, signifie « qui fait chier » : autrement dit une femme ne se laissant pas marcher sur les talons compensés, l’ouvrant quand il faut, assumant son corps et faisant ce qu’elle en veut. La cagole a tout d’une féministe !
« T’es maigre, t’es moche avec tes petits seins bizarroïdes », Aix-en-Provence (13), fac de lettres. « Hey, mademoiselle, c’est des vrais ? Je peux toucher ? », Nice, derrière la gare. « Eh, t’as un joli jeu de jambes, toi ! Ça te dit qu’on tourne une vidéo coquine ? », Avignon, rue St-Agricol. « Ah voilà un bon cul pour mon gros sexe ! », Marseille, devant la boulangerie un dimanche matin.
Depuis 2012, Anaïs Bourdet, graphiste marseillaise, répertorie sur son blog, dont elle a tiré un livre « Paye ta shnek », les insultes graveleuses des harceleurs de rue qu’ils soient de Lille ou de Marseille, « seul le langage change », précise l’auteure qui n’y voit pas une spécificité méditerranéenne. « Après #metoo, il y a eu une prise de conscience, on a parlé de “libération de la parole”, mais c’est plutôt une “libération de l’écoute”. Parce que les femmes parlent depuis longtemps », note Anaïs Bourdet. Mais on assiste plus à de la com politique qu’à une réelle ambition de vouloir changer les choses, car pour ça, il faudrait s’attaquer à l’éducation, à la justice, etc. le chantier est énorme ! »
Avec ses comparses, Elsa Miské et Margaïd Quioc, journaliste-pigiste au Ravi à ses heures (Cf reportage page 19), elles ont créé un podcast « de warriors », Yesss qui donne la parole à des femmes victimes de sexisme et qui sont parvenue à répondre et à se défendre. « Ok #metoo c’est bien mais après on fait comment ? On n’est pas des victimes par essence, alors il faut apprendre à s’armer, explique Anaïs Bourdet. Yesss donne plein d’ingrédients et chacune fera à sa sauce. » L’émission se veut bienveillante et pas question de culpabiliser celles qui n’y arrivent pas.
« Il ne se passe pas une semaine sans que l’on commente ma tenue ou ma coiffure. Et le fait que je sois une femme jeune ajoute un cran. Il faut que je fasse plus d’efforts pour attester de ma crédibilité », explique Cécile Muschotti, députée LREM du Var et membre de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité homme-femme. Certains élus n’hésitent pas à l’affubler de « petite Muschotti » ou « petite députée ». « Comme pour vous réduire dans vos capacités”, poursuit la députée. En décembre 2017 en conseil municipal à La Garde (83) où elle est élue, hors micro après son intervention, le directeur de la Sagem, bailleur social de la ville lui aurait dit « qu’heureusement qu’elle avait été gâtée par la nature » et qu’elle avait « de jolis yeux » sinon il aurait repris la parole pour démonter son argumentaire. La députée avait directement informée le ministère du droit des femmes de ses propos sexistes.
… à sujet pensant
En juin 2016, l’élue avait manifesté en short sur la place de la Liberté à Toulon en soutien à une jeune varoise agressée dans un bus par cinq filles à cause de sa tenue vestimentaire. Deux mois plus tard, c’est une femme en burkini qui se faisait verbaliser sur une plage de Cannes pour tenue inadéquate [Le Tribunal administratif de Nice vient de condamner la mairie à rembourser l’amende.Ndlr]. Cachez ce corps que je ne saurais voir ! Oui mais pas trop quand même…
« Mon voile j’en suis fière, je ne veux pas qu’on me force à le mettre, ni qu’on me force à l’enlever », déclame une femme sur la scène du théâtre de l’Œuvre en ce soir de novembre, dans le cadre du festival Femme(s) et Résistance(s). Dans la création partagée « Elles disent », le collectif Transbordeur donne à entendre les femmes des quartiers populaires et leur coups de gueules. Avec en fond les mots de Louise Michèle, militante arnarchiste, figure de la Commune décédée à Marseille en 1905 : « Citoyennes quittez la faiblesse de votre sexe ! »
Sara Ahamada, 35 ans, d’origine comorienne a quant à elle choisi le short et le twerk. Malgré sa timidité, ses rondeurs, sa religion et le poids de sa communauté, elle est devenue instructrice de Booty Therapy [littéralement thérapie par les fesses (1)] sur Marseille, mélange de danse afro urbaines qui prône les mouvements du bassin pour assumer son corps. « Un jour je me suis réveillée et je me suis dit que je ne pouvais plus faire plaisir à mes parents. La culture c’est bien, mais l’amour de soi c’est mieux », note la jeune mère de famille qui a du aussi convaincre son compagnon.
« Quand tu travailles sur la dimension politique du corps et que tu prends conscience de la réalité de ce qu’il a subi, tu redeviens sujet et tu fais de ton corps un sujet », explique la comédienne marseillaise MariSoa Ramonja qui, à travers son spectacle Utérus Cactus (2), aborde toutes les violences imposées à son corps de femme, par l’autorité, la société, la médecine, le regard que l’on pose sur lui… D’un corps maltraité, tiré à quatre épingles, l’artiste en fait un corps qui se soigne et se répare. Pour appuyer son propos, elle en passe par la nudité : « Les femmes me remercient car cette nudité leur fait du bien. Les hommes me remercient car ils finissent par l’oublier. »
1. On a testé pour vous : se faire évangéliser à Avignon (27/07/2017)
2. Représentations à l’Equitable café (Marseille, 13006) ou en extérieur tous les soirs de nouvelle lune.