Hôtels sans étoile
Des portes de chambre sans poignée, ni verrou. Un seul WC, maculé d’excréments, pour 5 étages. Des sacs-poubelle stockés dans les couloirs, derrière des matelas. Durant le premier confinement, près de 2 700 personnes, dont 900 enfants, ont été logées en urgence dans des hôtels à Marseille. 1 650 personnes y sont encore hébergées aujourd’hui, contre 350 avant le Covid selon les chiffres de la préfecture. La crise sanitaire a imposé un recours massif à ce type de logement, décrié par plusieurs acteurs de terrain dont la Fondation Abbé Pierre. « Les conventions avec les hôteliers reposent la plupart du temps sur une simple visite d’une des chambres, dénonce la Fondation dans son rapport annuel. Une fois cette convention signée, l’hôtelier est assuré de toujours voir ses chambres occupées, étant donné l’ampleur de la demande. »
Si certains hôteliers ont accepté de jouer un rôle de travailleur social, dans d’autres lieux « la qualité de certains hôtels est même inférieure à celle des squats et bidonvilles, bien que les prix pratiqués soient ceux d’établissements de bien meilleure qualité, note une intervenante ayant réalisé plusieurs visites d’hôtels. Par exemple plusieurs personnes hébergées dans une même pièce de manière à augmenter les capacités de l’établissement, alors que les mises à l’abri hôtelières visaient justement à “décompresser” les gros centres d’hébergement qui proposent des chambres collectives ». L’absence de contrôle amplifie les dérives : chambre sans fenêtre même en présence d’enfants, petits déjeuners refusés bien que payés, propos dégradants… Un business qui s’avère très rentable. « A 30 € la nuit, puis 17 € durant la crise, ces propriétaires d’hôtel ont pu toucher plusieurs centaines de milliers d’euros », note Aurélie Tinland, médecin psychiatre et co-autrice du rapport.
Dix nuits par personne
Avant même le confinement, le recours aux hôtels était déjà remis en question par plusieurs acteurs de l’urgence sociale. Interrogé par la Fondation, un cadre de la direction régionale des Solidarités fait le calcul : 700 chambres d’hôtel utilisées à l’année pour l’hébergement d’urgence, cela représente 5 millions d’euros de dépenses. « À ce prix-là on met des gens dans du logement de droit commun avec un accompagnement, c’est beaucoup mieux », note ce cadre. Car aucun accompagnement social n’est compris dans le prix dépensé par les collectivités pour une nuit à l’hôtel. « L’hébergement en hôtel pose beaucoup de problèmes, notamment l’impossibilité d’y faire la cuisine soi-même et le peu d’accompagnement social, souligne Audrey Garino, adjointe (PCF) au maire de Marseille, en charge des affaires sociales. On est juste dans de la mise à l’abri, mais je préfère ça à rien. »
« Le séjour en hôtel répond tout de même à un besoin des associations, qui est de mettre les personnes à l’abri en urgence pour avoir ensuite le temps de commencer un travail social, abonde Aurélie Tinland. Mais c’est un pansement sur une jambe de bois. » Car, spécificité locale, les séjours d’urgence en hôtel ont été limités à dix nuits par personne dans les Bouches-du-Rhône. Une manière, face à la demande, de traiter tout le monde sur un pied d’égalité. Mais devant des listes d’attente interminables, ce principe d’équité s’est transformé en machinerie absurde : au bout d’une semaine et demie, les bénéficiaires sont renvoyés dans la rue, d’où ils doivent rappeler le 115 et revenir dans la file d’attente. La situation est rendue encore plus inextricable quand, à Marseille, près du tiers des personnes hébergées en hôtel relèvent du droit d’asile ou ne disposent pas d’un dossier administratif complet. Impossible de démêler en dix jours des situations juridiques dont les recours peuvent s’étaler sur des mois.
Changement de braquet
Pour casser ce cercle infernal, « il faut créer plus de places » en hébergement d’insertion et de transition affirme l’adjointe. Face au manque de données fiables sur la population des sans-abri à Marseille, les besoins sont évalués à plusieurs centaines, voire plusieurs milliers de places supplémentaires. « Il faut aussi diversifier les structures, estime Audrey Garino. On manque de places mais aussi de diversité dans les places : des unités plus petites, plus faciles à gérer, pour les jeunes, pour les familles, les personnes âgées. Et aussi de places mieux réparties dans toute la ville, accessibles en transports en commun. »
Entre la ville, le département et l’État, plusieurs projets ont été initiés, en utilisation temporaire de bâtiments publics : deux structures de 40 places chacune, destinées aux familles, ont été ouvertes près du port et à la Capelette (10e), une autre de 10 places va ouvrir pour les étudiants, et 60 places d’une ancienne auberge de jeunesse inoccupée ont été affectées à Bonneveine (8e) pour les femmes seules avec ou sans enfants. Et en parallèle, pouvoirs publics et associations mettent en place « des équipes d’intervention à l’hôtel pour l’évaluation sociale, l’ouverture des droits et la possibilité d’orientation vers d’autres dispositifs », assure la préfecture. Si pour l’hébergement d’urgence, un changement de braquet semble s’opérer, il n’en est malheureusement pas de même pour le logement social, l’étape suivante dans un parcours résidentiel. Alors que les objectifs de production de logement social en Paca n’ont cessé d’augmenter, les réalisations effectives de logements se sont tassées. Sur la période 2002-2016, le taux de réalisation dépassait systématiquement les 80 %, il est tombé à 57 % depuis.