Le logement précoce, dégrippe-tout ?
Vous avez épuisé toutes les autres solutions pour pouvoir vous loger. Chez des amis, de la famille, ce n’est plus possible, ou bien ça ne l’a jamais été. Vous décrochez votre téléphone pour appeler le 115, numéro du Samu social, pour demander un hébergement d’urgence. Au bout de plusieurs appels, quand vous réussissez enfin à avoir un opérateur, on vous explique que toutes les places sont occupées, on prend vos coordonnées, pour vous rappeler au plus vite. Vous venez d’entrer dans le fonctionnement classique de l’hébergement d’urgence dans les Bouches-du-Rhône.
Si, par chance, une place en urgence est disponible, il vous faudra attendre longtemps avant de vous voir proposer un logement d’insertion : six mois en moyenne, selon le rapport de la Fondation Abbé Pierre. Et la durée s’allonge de plusieurs mois supplémentaires si vous êtes avec des enfants. Des délais successifs qui ont un impact souvent irréversible : « Dès le premier retard de prise en charge pour l’appel au 115, dès la première conversation où l’on dit qu’on n’a rien pour eux, il y a une défaillance, estime le Dr Aurélie Tinland, médecin psychiatre et chercheuse en santé publique. Si les gens se sentent tout de suite en état de soumission, il y a des conséquences psychologiques et biologiques. Et c’est encore plus vrai pour les enfants, qui sont de plus en plus nombreux chaque année. Ils voient tout cela et ils intériorisent cette inégalité sociale. »
Un logement en trois semaines
Pour inverser la tendance, plusieurs acteurs se sont rassemblés début 2021 afin de lancer une expérimentation de logement précoce. Concrètement, il s’agit non plus d’ajouter le nouvel appelant dans une file d’attente vers un hébergement d’urgence, mais d’essayer de l’orienter au plus vite vers un logement d’insertion, avec un accompagnement renforcé, avant que sa situation médicale et psychologique ne se dégrade. Résultat : les personnes prises en charge en orientation précoce n’ont attendu en moyenne que trois semaines avant d’avoir un logement d’insertion, contre plus de dix mois pour les personnes ayant suivi le parcours classique. Et les propositions de logement comptent deux fois moins de refus avec l’orientation précoce que dans le système classique.
Pour la Fondation Abbé Pierre, c’est la preuve que la démarche fonctionne : les personnes bénéficiaires arrivent dans leur logement avec un meilleur accompagnement, et avec moins de séquelles médicales et psychologiques. Les conséquences sont décisives : 12 mois après, 62 % des personnes logées précocement ne sont pas retournées dans la rue, contre seulement 9 % dans le système traditionnel. La démarche semble fonctionner, comment la généraliser ? Avant tout en produisant du logement social massivement et à des loyers abordables, pour permettre aux hébergés de reprendre un parcours locatif classique. Problème : autant au plan local que national, les pouvoirs publics ont choisi de faire tout l’inverse.