Marseille, capitale du provisoire qui dure
L’ex-capitale de la culture serait-elle aussi celle du provisoire qui dure ? Dans le domaine de l’hébergement, les acteurs n’ont pas beaucoup de perspectives. Le bail de L’Auberge marseillaise arrive bientôt à échéance. Quant à Coco Velten – lieu hybride porte d’Aix où se côtoient une cantine, un centre social, un centre d’hébergement et des ateliers – il est dans le flou le plus complet.
« On sait depuis longtemps que, contrairement à ce qui était prévu, la mairie de Marseille ne rachètera pas, explique Elsa Buet, une des responsables. Le souci, alors que notre convention d’occupation arrive à échéance, c’est qu’on ne sait pas ce que veut faire l’État de ses bâtiments. On n’a aucune nouvelle ! Ça nous bloque pour tout. Pour la cantine et les distributions. Pour la quarantaine d’ateliers incapables de se projeter. Et pour le centre d’hébergement du groupe SOS qui accueillait jusque-là 80 personnes. Sans visibilité, on ne peut accueillir de nouvelles personnes. D’où environ 15 % de places vacantes. »
Ne pas laisser un vide
Sans nouvelle, Coco Velten est prêt à dégainer une « lettre ouverte pour interpeller les pouvoirs publics et montrer l’attachement des habitants, des structures et du quartier » (1). Pourtant, s’inspirant des Grands Voisins à Paris, ce lieu était le « navire amiral » du Lab Zéro, un « laboratoire d’innovation publique » lancé en 2017 par la préfecture, dispositif « pluridisciplinaire » ayant pour mot d’ordre : « Voir grand, commencer petit et aller vite ! » Avec, par exemple, comme objectif « zéro SDF » d’ici 2027 ! Mais comme le déplorent la plupart des acteurs impliqués : « Ça reposait essentiellement sur les personnes. Or, il y a des changements. Notamment à la préfecture. » Confirmation d’un acteur ayant suivi de près le dispositif : « Zéro SDF, c’est clair, c’est fini. »
L’inquiétude, on pouvait la lire en filigrane du bilan de Coco Velten en mai dernier. Certes, tricoté par Yes we camp, il regorge de chiffres : 135 personnes hébergées, soit 71 ménages, avec une durée moyenne de 273 jours, 31 résidents ayant été orientés vers du logement autonome, 9 vers d’autres centres d’hébergement, 14 en revanche ayant été perdus de vue. À quoi s’ajoute, pendant les confinements, 2 200 colis alimentaires et 32 000 repas distribués. Mais le document interpelle d’entrée : « Et après ? » Pour mieux proposer la « pérennisation du lieu ». Voire le « rachat citoyen du bâtiment ».
Étonnant d’un dispositif à la base transitoire et temporaire. En 2019, Marthe Pommié, pilote du Lab Zéro, expliquait : « Le caractère temporaire permet de démarrer plus facilement les projets. La temporalité joue un rôle de catalyseur, dynamise les activités. » Porte d’Aix, on corrige : « Le temporaire, c’est une opportunité, le moyen de combler un vide. L’objectif, derrière, ce n’est pas de laisser un vide ! » Ce que partage Audrey Garino (PCF), adjointe au maire en charge du social : « C’est une belle expérience et ce serait dommage que ça s’arrête comme ça. » Soupir d’un fin connaisseur du secteur : « La temporalité, elle était connue dès le départ. Après, c’est vrai, une sortie, ça s’anticipe. Connaissant l’administration, face à des bâtiments, ils doivent se faire des nœuds au cerveau et y verront clair en… 2050 ! »
Faire bouger les lignes
De fait, le coronavirus n’a pas été sans impact : « Quand Coco Velten est né, il y a eu de la méfiance, notamment des acteurs historiques, reconnaît Elsa Buet. Mais, vu notre implication pendant le confinement, la méfiance est tombée. Et face à l’incertitude, il y a de la solidarité. » A Yes we camp, le Covid a changé la donne : « On intervient plus directement sur le social. Avant, on était plus côte à côte avec nos partenaires. C’est grâce au travail que l’on mène au sein d’équipes plurielles avec des travailleurs pairs. »
Pour Jean-Régis Rooijackers, chargé de mission à Just, « derrière les expérimentations, il y a l’envie de faire bouger les lignes. Le côté éphémère, ça permet de faire du commun, de l’expérience. Il faut être multipistes. Et ce qu’il faut pérenniser, c’est moins les lieux que les places. » Un point de vue qui n’est pas loin de celui de la nouvelle municipalité.
Dans son rapport, la Fondation abbé Pierre ne cache pas les carences du territoire. Que la crise sanitaire a souligné, même si le Covid fut aussi l’occasion d’expérimentations. De fait Marseille fait partie des 46 territoires expérimentaux du plan de l’État en faveur du « logement d’abord » depuis 2021. Qu’importe pour Martine Vassal (LR), qui, en janvier dernier, s’est félicitée de voir la métropole sélectionnée « pour son engagement dans la mise en œuvre accélérée du “logement d’abord” ». Soupir d’Audrey Garino : « Dans le domaine du social, on ne peut pas dire qu’on a hérité de grand-chose. » (2)
« Pourtant, ici, on est précurseur, s’enorgueillit Denis Dupont, directeur de HAS (Habitat Alternatif Social). Avant les Enfants du canal à Paris, HAS faisait la promotion du principe “un chez soi d’abord”. Car, pour aider les gens, ce qu’il leur faut, avant tout, c’est un logement. » Si HAS est investi à L’Auberge marseillaise, le Covid a laissé des traces : « Durant la crise sanitaire, on a accompagné une soixantaine de personnes à l’hôtel Ibis du Prado. Mais on a dû remettre les gens à la rue. Alors oui, les expérimentations, ça peut servir à lancer des actions et mettre les acteurs publics face à leurs responsabilités. Mais je ne conçois plus une action avec une fin programmée. » Pas de doute, à Marseille comme ailleurs, le provisoire, c’est dur…
1. Interrogée par le Ravi, la préfecture n’a pas répondu à nos questions sur Coco Velten et le Lab Zero
2. Xavier Méry, le prédécesseur (LR) d’Audrey Garino, n’a pas donné suite à nos demandes d’entretien.