Le mur de la honte
Signe d’un changement de pratiques avec la nouvelle majorité (Printemps marseillais) élue en juillet ou simple coïncidence ? Seule certitude : depuis que le consortium des médias marseillais (nommé« La Grande Vacance », regroupant le Ravi, Mediapart, Marsactu et La Marseillaise) s’est penché sur la ruine, propriété de la mairie de Marseille, qui menace une crèche du quartier de Saint-Mauront, dans le 3e arrondissement, le dossier a accéléré. Le lundi 2 novembre, jour du bouclage du Ravi, des ouvriers d’AD Déconstruction, une entreprise mandatée par la ville, sont intervenus pour faire tomber le pan de mur dangereux. Le reste peut visiblement encore pourrir…
L’origine de l’histoire tient pourtant de la chance du débutant. À l’occasion d’un incendie qui a ravagé dans la nuit du 10 au 11 août dernier, le 20 rue Jouven, un entrepôt de l’îlot (1), la direction de la prévention et de la gestion des risques découvre la situation du bâti sur le périmètre : des immeubles sur le point de s’effondrer ou qui le sont en partie. Un coup de bol pour la nouvelle municipalité car sept immeubles de cet îlot délimité par la rue Jouven, la rue Félix Pyat et la rue Jullien sont propriété publique.
Cinq des bâtiments appartiennent à l’établissement public foncier régional (EPF Paca) pour le compte de la métropole (10 et 22 rue Jouven ; 57, 59 et un lot du 63 rue Félix Pyat) et deux à la mairie (au 26 rue Jouven). Depuis l’incendie, cinq bâtiments sont en péril grave, dont le 26 rue Jouven de fait, car la ville ne se met pas en péril. Autre mauvaise surprise pour cette dernière : ses deux bâtiments entourent la cour de la crèche Plein Soleil, un établissement de 42 berceaux du groupe SOS, et une tête de mur menace de s’y écrouler !
Voisin indélicat
Au moment de son inauguration, en septembre 2018, personne ne s’inquiétait pourtant de cet environnement peu hospitalier pour des minots. Certainement une habitude au regard de l’état d’abandon du quartier. Du côté de la direction de la crèche, on n’a pas souvenir que le sujet ait été abordé, en tout cas officiellement, ni eu connaissance que le voisin indélicat était la ville. Mais on souffle : « Ça fait quand même deux ans et demi que la crèche est ouverte… »
L’arrêté « d’interdiction d’occupation et d’utilisation d’une partie de la cour » signé le 14 septembre par Patrick Amico, l’adjoint à l’habitat indigne de Michèle Rubirola, est pourtant plus qu’alarmiste. Il pointe un « effondrement partiel de la toiture du bâtiment mitoyen […] à la cour » et « l’instabilité de la tête de mur de façade non démolie à proximité immédiate de la cour ». Nouveau coup de pot pour la ville, dans l’attente d’un potager, l’espace confiné est déjà délimité par des barrières et n’ampute l’extérieur de la crèche que d’un quart de ses 400 m².
Comme souvent à Marseille, la situation provient de l’urbanisme de promotion de Jean-Claude Gaudin durant ses quatre mandats (lire notre article). Selon une délibération du 13 novembre 2006, la ville a ainsi racheté il y a quatorze ans à des particuliers les parcelles qui ont servi à la construction de la crèche et des logements qui la surplombent, ainsi que le centre social mitoyen, en même temps que plusieurs autres. Soit les 65 à 69 de la rue Félix Pyat et les 26 à 30 de la rue Jouven. Le tout pour 760 000 euros, un prix « supérieur de 26 % environ à l’estimation des services fiscaux », précise le document.
Mieux, en avril 2008, soit un an et demi plus tard, la ville débloque 240 000 euros pour des « travaux de démolition relatifs à l’assainissement et à la mise en sécurité de l’îlot situé entre la rue Félix Pyat (du n° 65 au n°75) et à la rue Jouven (du n°24 au n°30) ». Précision : « Ils doivent être engagés au plus tôt. »
De l’urgence d’attendre
Douze ans après, il était visiblement urgent d’attendre : seul le côté rue Félix Pyat a été aménagé, le 26 rue Jouven est toujours debout et menace une crèche et les autres immeubles de l’îlot commencent à s’effondrer. Un projet de bassin de rétention, préalable à de nouvelles constructions sur un périmètre rassemblant les 20 à 30 rue Jouven et 57 à 63 rue Félix Pyat, a été abandonné il y a deux ans à cause « de problèmes techniques ». Mais le terrain est de nouveau en réserve foncière dans le plan local d’urbanisme intercommunal voté à la Métropole en décembre 2019. En attendant l’acquisition des parcelles encore privées.
Commentaire d’Éric Méry, nouvel élu au Patrimoine, qui a le beau rôle : « C’est chaud ce qui nous a été laissé entre les mains : plus d’une cinquantaine d’immeubles très dégradés dans l’hyper-centre et [en périphérie] des hangars, pour la plupart vacants ; on a aussi des appartements en mauvais état dans des immeubles en péril qui ne nous appartiennent pas. » Et d’insister : « Ma principale mission sera de réaliser un audit complet sur l’ensemble du patrimoine bâti et foncier [de la ville]. Cela va prendre deux ou trois ans, [mais] on ne peut pas avoir une stratégie globale si on ne sait pas ce qu’on a. »
De son côté, l’EPF assure que des projets sont en cours (2), notamment sur la tête de l’îlot, l’ancien collège privé. Et de rappeler : « Nous avons [aussi] des biens isolés et nous attendons des directives de la Ville et la métropole pour finaliser […] et engager un travail sur le fond. » La encore, il semble urgent d’attendre.
1. Selon nos informations, deux enquêtes préliminaires ont été ouvertes après l’incendie.
2. La métropole n’a pas donné suite à nos sollicitations.