« On va voir émerger une grande pauvreté »
De quelle manière la Fondation Abbé Pierre a choisi de soutenir les associations pendant la crise sanitaire ?
Nous avons donné de l’aide alimentaire. Jusqu’ici, ce n’était pas dans la démarche de la Fondation Abbé Pierre, nous sommes habituellement plutôt sur la promotion des habitants et le bien vivre ensemble. Mais très rapidement, les associations nous ont fait savoir que les institutions s’étaient retirées avec le confinement et qu’elles étaient seules face à la population. Elles ont dû organiser une solidarité de proximité. La première difficulté a été la déscolarisation des enfants et par ricochet, une augmentation des charges alimentaires puisqu’il fallait nourrir la famille, matin, midi et soir. L’aide alimentaire était là pour répondre à l’urgence. On a aussi mis en place des aides ciblées pour les bébés. La deuxième préoccupation a été de pallier la déscolarisation. Là aussi, avec les associations, on a essayé de trouver du matériel pour que les enfants puissent continuer à suivre les cours. Et on a accompagné la structuration des associations qui ont mis en place du soutien scolaire. Et enfin, le plus difficile à vivre pour les familles, ça a été la cohabitation dans les appartements pendant le confinement. On a alors décidé de soutenir tous les projets qui pouvaient permettre aux habitants de s’aérer un peu. Durant cette période difficile, les associations ont été réactives et ont su s’adapter aux difficultés du terrain. On a vu de nouvelles solidarités arriver.
« Dans les quartiers populaires, l’emploi a été fragilisé. »
Qu’est-ce que cette crise a révélé du désengagement des fonds publics ?
L’insuffisance tout simplement. Dans les quartiers populaires, l’emploi a été fragilisé. Ceux qui étaient en intérim ou qui avaient des boulots alimentaires, ont perdu leur travail. Mais ils n’entraient pas dans les critères des aides de l’État. Une aide ridicule d’ailleurs face aux problèmes qui étaient en train de pointer.
Quelles en sont les conséquences aujourd’hui ?
Ce sont les impayés de loyers. Dans les premiers mois de la crise, on s’est dit que ceux qui venaient d’entrer dans les impayés allaient pouvoir s’en sortir rapidement. Qu’une fois la crise sanitaire passée, ils allaient reprendre du souffle et retrouver le chemin du travail. Mais ce n’est pas vrai. Actuellement, des gens sont engouffrés dans les impayés de loyers de manière durable, à terme ils risquent l’expulsion. Et en plus, ils doivent faire face à des augmentations du coût de l’énergie. Le prix de l’électricité et du gaz va continuer de flamber et on va voir émerger une grande pauvreté.
Les associations s’interrogent désormais sur faire appel ou pas à des fonds privés pour financer leurs actions. C’est nouveau ?
C’est nouveau parce qu’on est dans un contexte de rareté de fonds publics, mais ça fait longtemps que le gouvernement réduit les aides aux associations. Les fonds privés comme ceux de la Fondation, permettent aux structures de faire des projets qui peuvent répondre aux vrais besoins des habitants. Ce qui n’est pas le cas des fonds publics, qui demandent de répondre aux besoins de l’État. Les fonds privés sont une opportunité, mais il faut faire très attention. Lorsqu’il s’agit de fondations, les objectifs peuvent correspondre à ceux des associations, mais lorsqu’il s’agit d’une entreprise, toutes ne sont pas philanthropes, un sou est un sou. Et il faut veiller à ne pas devenir un faire-valoir.
« Être sous un toit ne suffit pas. »
Avec les années, est-ce que le choix des projets soutenus par la FAP a évolué ?
J’ai vu la Fondation couvrir tout son champ de compétence. Au début nous étions sur le logement, et sur la lutte contre l’insalubrité. Aujourd’hui l’action de la Fondation Abbé Pierre recouvre toute la question qu’il y a derrière le mal logement et qui recouvre le bien être dans l’habitat, les questions de santé, de solidarités de voisinage, et l’épanouissement de la personne. Être sous un toit ne suffit pas. L’accompagnement est important, pour que la personne retrouve toute sa dignité.
Quels sont les défis auxquels vous allez devoir faire face suite à la crise ?
La question du logement des plus défavorisés est primordiale. Quand on voit le coût du logement aujourd’hui, on sait qu’il y aura toujours une population entre les mains des marchands de sommeil. Le foncier est inabordable, et les loyers aussi. L’accessibilité à des loyers modérés est un enjeu pour la population et pour la Fondation Abbé Pierre. Le deuxième enjeu, c’est la transition écologique. Les logements restent encore énergivores face à des coûts d’énergie qui flambent. Il ne faudrait pas que derrière la sobriété ou la non consommation d’énergie se cache une vraie pauvreté. Et que les populations les plus fragilisées se retrouvent davantage jetées dans la grande précarité. C’est un enjeu majeur.