« Le défi c'est de montrer toutes les énergies »
En quoi consiste votre travail de recherche sur les différentes associations soutenues par la Fondation Abbé Pierre et présenté lors des rencontres annuelles du 23 novembre dernier ?
C’est une recherche qui se nomme provisoirement « portraits de militants en quartier populaire » et qui consiste à mettre en valeur et faire une analyse des différents groupes avec lesquels travaille Malika Chafi, responsable du secteur Promotion des habitants de la Fondation Abbé Pierre. Ce, à partir d’entretiens, de visites sur le terrain et de documentation. C’est une enquête qui a une dimension participative. Le projet a d’abord été proposé à la discussion. Ensuite, je me déplace sur le territoire où œuvrent ces associations. Et lorsque mon enquête est terminée, nous en débattons avec les intéressés qui me font leurs retours, leurs critiques ou m’apportent leurs précisions. Je travaille sur une dizaine de groupes. Certaines études sont en cours, d’autres débutent à peine et trois sont terminées. C’est un travail qui se fait à plusieurs échelles. Tout dépend de la complexité du groupe, de la distance, de l’accessibilité. Niveau temporalité, j’ai démarré mon travail de recherche juste avant la pandémie de Covid 19. Pendant le confinement par exemple, j’ai pu travailler sur l’association Émergence 93, grâce à sa proximité géographique.
Comment ont été choisies les structures étudiées ?
Ça fait plusieurs années que je participe aux rencontres de la Fondation Abbé Pierre avec les habitants, comme celle qui a eu lieu à Lille, en tant que simple collaborateur, observateur et ami. Souvent ces associations présentent leur travail ou prennent la parole. C’est comme cela que j’apprends à les connaître. J’en discute ensuite avec Malika Chafi, qui a une fine connaissance des militants. C’est une « sélection » que l’on fait de manière conjointe. L’idée c’est qu’il y ait plusieurs villes représentées, des activités diverses et des groupes différents, dont les personnalités varient. Certains sont plus expérimentés, d’autres plus novices. L’important c’est d’avoir une fresque la plus large possible afin de découvrir le spectre de ce qui est fait.
« Je n’ai que de belles surprises »
Si leurs activités sont variées, existent-ils des points de convergence ?
Dans ce qui est commun, il y a le modèle de fonctionnement : ce sont des associations. On remarque aussi qu’il y a un groupe humain informel qui déborde l’association. Une ou deux personnalités vont tenir le groupe, entourées de militants aux caractéristiques qui divergent selon l’activité. Parmi ces groupes, il y a ceux qui travaillent autour de la culture, les associations sportives, celles issues du social. On trouve aussi des groupes qui sont nés d’un conflit particulier. Je pense aux mamans des Izards à Toulouse, qui se sont organisées autour de la mort de leurs enfants. Le point commun c’est toute la mobilisation qui se fait autour des quartiers populaires, des banlieues. Elle a une histoire, elle renvoie à la marche des beurs de 1983, et à toutes les mobilisations qui ont suivi. Ce sont des associations qui se sont créées autour de la politique de la Ville. Une bonne partie de celles présentes à Lille ont une histoire et une expérience de la politique qui leur est commune. Autres similitudes, elles sont tributaires de l’argent public. Mais ces dernières années, à cause des coupes budgétaires du gouvernement Macron, ces associations sont obligées de diversifier leurs financements et de faire appel à l’argent privé.
Dans ce que vous avez pu observer du fonctionnement de ces associations, qu’est-ce que la crise sanitaire a révélé ou changé ?
Elles ont dû diversifier leurs actions, se réinventer pour faire face à une urgence sociale, sanitaire, et alimentaire. Mais immédiatement après le confinement, elles ont récupéré leur cœur de métier et sont revenues à leurs préoccupations premières.
Quelles difficultés rencontrez-vous sur le terrain ?
Une des difficultés est de travailler de façon intense dans un laps de temps court, même si cela est intrinsèque au travail d’enquête. Il faut aussi parvenir à intéresser les interlocuteurs à mes questions et gagner leur confiance, afin qu’ils se livrent plus facilement, leur assurer une retranscription fidèle de nos échanges. Et que tout ce qui se dit, n’est pas forcément destiné à être public, notamment lorsque les militants sont pris dans des conflits avec les autorités ou des financeurs. C’est un travail d’enquête qui demande du temps car les activités sont diverses. Par exemple pour Émergence 93, comprendre tout ce qui se fait autour de la prison n’exige pas de moi la même enquête que lorsque je m’intéresse au Futsal à Montpellier, où il s’agit d’une autre réalité. Le défi c’est de pouvoir montrer toutes les énergies et les activités qui se développent.
Vos premiers textes de retours d’enquête sont écrits de manière littéraires, proches de l’écriture journalistique, moins abscons que les productions habituelles des sociologues…
C’est voulu car ce ne sont pas des textes destinés à mes collègues ou à des universitaires. Ils sont faits avec tout le sérieux des enquêtes sociologiques mais où je vais éviter de multiplier les citations bibliographiques. Par contre, je mets un soin particulier dans la description. Ce qui nécessite une certaine écriture qui va permettre au lecteur de rentrer dans la situation telle qu’elle est vécue. Il y a une masse de travail derrière chacun de ces textes mais ce n’est pas ce qui m’intéresse de mettre en avant, l’important c’est le texte lui-même. Au départ j’avais prévu une dizaine de pages pour chaque groupe, j’en suis à 25… Pour l’instant je suis en train d’écrire, il faudra voir la forme que cela prendra quand ce sera fini. Mais je pense à une publication.
Des actions de certains groupes vous ont-elles marquées plus que d’autres ?
Ce qu’il est intéressant de constater, c’est avant tout l’énergie militante et créatrice qui se déploie, peu importe le domaine d’activités. En général je n’ai que de belles surprises.