« Ne jamais oublier l'extraordinaire potentiel de ressources des habitants »
Comment sont nées ces journées de rencontres entre les différents acteurs associatifs ?
Nous avons engagé un dialogue avec les partenaires associatifs de la Fondation dès 2013. Et après deux années de pandémie, nous avons pu enfin réunir le réseau. Le secteur Promotion des habitants soutient des projets culturels accompagnés par des acteurs spécialisés, et des groupes d’habitants de différentes villes et régions de France. Le but est de renforcer le pouvoir d’agir des habitants sur leur propre vie. Il conduit également une réflexion au long cours sur la question de la « capacité citoyenne ». C’est dans ce cadre qu’étaient proposées initialement les journées de partages d’expériences. Aujourd’hui le réseau est bien là et il convient de le protéger. Contrairement à d’autres institutions qui lancent des appels à projets d’en haut, nous, à la Fondation, nous tentons de nous inscrire dans les diagnostics posés par les habitants eux-mêmes et nous ne pouvons imaginer que les réponses puissent s’énoncer sans la part active des concernés. Chacune des actions soutenues par la Fondation constitue un cas d’école de ce qu’il faudrait faire pour traiter une problématique précise. Les porteurs de projets développent des programmes de travail qui vont permettre de peser sur les conséquences sociales du mal logement. Ce qu’il convient de retenir, c’est que, dès lors qu’habiter constitue une injustice, alors la Fondation Abbé Pierre est présente, c’est un parti pris, elle se bat aux côtés des plus vulnérables pour qu’ils puissent retrouver une vie digne et se projeter dans une existence honorable
Pourquoi est-ce si important pour les porteurs de projets de « faire réseau » ?
Le pire aujourd’hui c’est l’isolement et le ressentiment. Ce sont des facteurs de renforcement de l’exclusion et de toutes les atteintes à la dignité propres aux assignations à résidence ou à identité. Aujourd’hui les porteurs de projets ont bien compris qu’on ne pouvait pas rester dans une position d’outsider. Et qu’il fallait reconstruire le dialogue avec le politique, les institutions, et tout ce que le territoire compte comme partenaire. « Se former pour apprendre à parler dans la langue du politique » a été l’un de nos axes de réflexion lors de nos groupes de travail. D’autre part, les associations qui sont composées, pour une large part d’habitants, savent qu’il est capital de s’entourer d’alliés, d’échanger entre pairs, d’apprendre les uns des autres pour se renforcer mutuellement. Et enfin, chose très importante, il faut qu’ils gagnent la confiance. Elle s’acquiert grâce à l’alliance entre eux et nous et mais aussi à travers le travail main dans la main avec d’autres porteurs de projets, sur d’autres territoires qui font la même chose, ou presque.
« La donnée capitale, c’est le courage »
Est-ce qu’avec les années, vous avez vu des passerelles se créer entre eux?
Évidemment, les partenaires se voient et construisent en dehors de nous. Ils partagent leurs analyses, démarches, outils… ça les renforce. La donnée capitale, c’est le courage. Si on a besoin de moyens financiers, les enjeux, eux, demandent de la détermination, de la constance. Et pour ça, parfois, on a besoin de trouver des alliés pour se conforter dans ce que l’on fait. La Fondation Abbé Pierre est là comme une vigie, un garde-fou qui veille à la continuité et à la cohérence entre la réflexion, la parole et l’action. Toujours dans le but de garder le cap. Depuis les premières rencontres et même pendant le confinement, nous sommes restés dans notre axe de travail en étant attentifs. C’était rude, ce sont les partenaires qui ont tout fait. Ils ont été ultra réactifs, ils ont pris des responsabilités incroyables entourés des habitants, avec intelligence, conviction et savoir-faire.
Comment se fait le choix des associations et des projets que vous soutenez ?
La Fondation Abbé Pierre est un acteur singulier, avec une signature et un ADN. Notre enveloppe est celle de l’argent de donateurs qui nous font confiance. Et c’est au nom de ces gens et de la philosophie de l’Abbé Pierre, « Servir en premier le plus souffrant » que nous agissons. Nous n’allons pas chercher les grandes associations, mais les petites, celles qui n’ont ni la reconnaissance, ni les moyens. Mais pourtant celles qui font un travail admirable sur le terrain. Celles qui mettent en place des projets pour faire en sorte que les parcours de vie des habitants soient plus lumineux, plus émancipateurs, plus porteurs d’avenir et rendent les personnes plus outillées pour continuer la route. Et nous sommes admiratifs de toutes ces forces de vie qui à bas bruit, dans beaucoup de territoires, œuvrent à la transformation et aux possibilités d’émancipation des personnes, au-delà des stigmatisations. Nous ne choisissons pas les projets par hasard, ils concernent le mal logement comme une injustice, la fracture numérique, les freins à la mobilité, la question alimentaire… D’ailleurs avec les années on a vu les projets évoluer. Ces derniers temps, on a vu apparaître des projets qui tournent autour du cinéma, du documentaire, des métiers qui l’accompagnent. Les jeunes ont à cœur de construire leurs propres images, ils veulent participer à la construction de l’Histoire. Et il faut voir comment ils sont créatifs ! L’évolution c’est qu’ils ouvrent des espaces de liberté. Parfois ils ne veulent plus simplement faire, ils veulent décider, d’ailleurs certains se présentent à des élections.
Qu’a révélé la crise sanitaire dans les quartiers populaires ?
Quand on est face à un incendie et que les pompiers n’arrivent pas, on jette des seaux d’eau pour tenter d’éteindre le feu ! C’est ce qu’il s’est passé avec le Covid. Nous avons vu se développer des dynamiques d’entraide entre habitants. Ce qui était inattendu, ce sont les responsabilités prises par une partie de la jeunesse. Elle n’est pas restée passive devant le spectacle affligeant de besoins de premières nécessités des habitants que la crise a plongé dans une profonde détresse tant matérielle que psychique. A un moment où les services publics ne pouvaient pas être présents et face à l’urgence, les habitants ne sont pas restés les bras croisés. Y compris nos porteurs de projets qui étaient en première ligne et qui sont souvent eux-mêmes des habitants de quartiers prioritaires de la politique de la ville. La Fondation a apporté son aide pour permettre la distribution de colis alimentaires, elle a soutenu des émissions de radios associatives pour faciliter la communication et permettre aux plus isolés de garder des liens. Mais aussi des projets de sorties pour les enfants, afin de remettre les quartiers en mouvement. C’est important. Nous avons financé aussi des micro-projets, et nous allons poursuivre en 2022 afin de faire la démonstration qu’il existe un potentiel d’actions positives dans les lieux de vie des habitants et qu’il est important de libérer leurs initiatives. Beaucoup pensent que le mouvement associatif est essoufflé, et bien ce n’est pas vrai partout! Il ne faut jamais oublier l’extraordinaire potentiel de ressources des habitants. Tout ce qu’ont fait les gens pendant le confinement relève de la puissance d’agir. Nous pouvons convertir l’impuissance en capacité de faire.