Les squats, une « spécificité » française
Dans la nuit du 16 au 17 juillet 2021, au bâtiment 2 des Flamants, dans le 14ème arrondissement, trois hommes ont perdu la vie alors qu’ils tentaient d’échapper aux flammes. Ils étaient nigérians, avaient entre 24 et 33 ans, et étaient au début de leurs demandes d’asile. Les associations de lutte contre l’habitat indigne dénoncent depuis des années l’insalubrité et les risques d’incendie liés à l’état de décrépitude des bâtiments… Sans effets. Les Flamants, comme d’autres cités des quartiers nord, sont voués à une démolition sans cesse repoussée.
Depuis plusieurs années, aux quelques locataires en éternelle attente de relogement des squatteurs sont venus s’ajouter pour occuper les appartements désertés. Le plus souvent il s’agit de demandeurs d’asile, en cours de procédure, dublinés ou déboutés. « Avant le drame, 150 vivaient là, dont beaucoup de femmes nigérianes avec enfants, aujourd’hui il n’y a plus personne », explique Grace Inegbeze, travailleuse sociale et présidente de l’association The Truth qui aide les femmes nigérianes victimes de la traite à Marseille.
Accueil à la ramasse
Les associations et travailleurs sociaux s’accordent à dire que le dispositif national d’accueil des demandeurs d’asile ne fonctionne pas, laissant son lot de migrants à la rue, dont de nombreuses familles. « On a tendance à croire que la carence de places d’accueil date de l’afflux de 2015, mais en fait ce dispositif a toujours été sous-évalué. Au niveau national, seulement un tiers des personnes est hébergé dans ce cadre-là », souligne Margot Bonis, chargée de mission du Réseau hospitalité à Marseille. Et même avec une demande d’asile qui a baissé en temps de Covid de 41 %, une majorité se retrouve sans places dédiées. Mais les chiffres réels, l’Ofii (Office français de l’immigration et de l’intégration) ne les communique pas…
En attendant d’être intégrés au dispositif national, un dispositif transitoire, d’hébergement en hôtel, existe qui s’adresse uniquement aux familles avec un enfant de moins de 3 ans, ou avec des critères de « vulnérabilité » (handicap, problèmes de santé…). Des critères qu’associatifs et militants remettent en question. Actuellement 500 à 600 demandeurs d’asile en bénéficient, 200 à 300 sont sur liste d’attente. « Des chiffres très bas par rapport à la demande », précise Margot Bonis. Selon les dernières statistiques de Forum Réfugiés – qui gère la Structure du premier accueil de la demande d’asile (Spada) de Marseille – en 2020, 2871 personnes ont été reçues (après passage en préfecture), alors que seulement 236 ont pu intégrer un hébergement en hôtel. « Ce qui fait 2600 personnes sur le carreau. Et je vous laisse deviner où vont ces gens ? », feint d’interroger la chargée de mission. Même si suite au Covid, le nombre de places a été augmenté, le 115 n’est que très rarement une solution car vite saturé, le squat reste alors la seule possibilité surtout pour les familles qui ne rentrent pas dans les critères de vulnérabilité et les hommes seuls.
Le squat Saint Just, géré par des collectifs solidaires, a dû fermer brutalement en juin 2020 suite à un incendie. Depuis d’autres plus discrets ont été ouverts en ville. Le Réseau hospitalité parvient aussi à mettre à l’abri quelques personnes chez des particuliers. Mais la plupart des personnes finissent dans les immeubles dégradés des cités des quartiers nord. A la merci des marchands de sommeil ou des trafiquants. « La mafia des squats » comme la nomment les associatifs. « Ce sont des squats monétisés où les gens doivent payer pour rester, précise Flora Gilbert, avocate en droit des étrangers. C’est une spécificité française. Car même si l’Italie est critiquée pour ses camps, au moins les gens ont un toit. De la même manière, en Allemagne, pas un demandeur d’asile, tant que sa demande est en cours, ne passe la nuit dehors. »
Parcours du combattant
La préfecture des Bouches-du-Rhône dénombre une quarantaine de campements et bidonvilles dans le département qui accueillent environ 1350 personnes dont une trentaine à Marseille qui héberge environ 900 personnes. « Les situations de squat sont diffuses au niveau du territoire et se retrouvent notamment dans de grands ensembles appartenant à des bailleurs sociaux ou dans de grandes copropriétés », indique le service com. Et de préciser : « Lors de l’incendie des Flamants, plus de 120 personnes ont pu être orientées vers des dispositifs d’hébergement d’urgence. » Rien de durable. Et aujourd’hui la plupart est déjà partie grossir les rangs d’autres copropriétés dégradées comme Kallisté ou Corot. La préfecture précise que de nouvelles places, au niveau départemental, sont en cours de création : 80 places de Caes (Centre d’accueil et d’examen des situations administratives) sur Marseille, 337 places de Cada (Centre d’accueil des demandeurs d’asile) et 160 places d’Huda (Hébergement d’urgence des demandeurs d’asile) supplémentaires.
« Certaines évacuations de squat ont déjà eu lieu, comme à Kallisté en 2019, mais les autorités mettent du temps à intervenir, surtout si les voisins ne se plaignent pas. Tout simplement parce que l’État ne peut apporter aucune solution à ces gens-là », souligne un travailleur social. Comme le précise Margot Bonis, l’Ofii va loin dans l’ironie : les demandeurs d’asile qui ne bénéficient pas du dispositif national d’accueil voient leur allocation majorée de 7 euros par jour, censés leur permettre de se loger. Mais lorsque ces derniers déclarent à l’Ofii qu’ils vivent en squat, ils se la voient… retirer !
« Chez nous, nous sommes habitués aux bidonvilles. Et même si l’on connaît le danger, tout est mieux que de dormir dehors. Mais quand on arrive en France, on n’imagine pas du tout ce parcours du combattant », explique Aboubacar Diaby, originaire de Guinée-Conakry, qui a obtenu ses papiers au bout de deux ans de procédure. Il est le vice-président des usagers de la Spada, association créée au début du confinement pour dénoncer les graves dysfonctionnements enregistrés au sein de la Structure de premier accueil des demandeurs d’asile marseillaise. Il raconte que même au sein du dispositif d’accueil des Cada, certains appartements sont insalubres. Et que les Ceas – où les migrants passent souvent une année alors qu’ils ne devraient pas y rester plus de dix jours – grouillent de punaises de lit. Idem pour les hôtels. L’association compte 700 adhérents. « C’est important pour les demandeurs d’asile de se défendre, souligne Aboubakar Diaby. Car quand tes droits ne sont pas reconnus, c’est compliqué de remplir tes devoirs. »