Un pied dans l'eau, l'autre dans le béton
Sept, c’est le nombre de morts en Paca après les inondations qui ont touché, en fin d’année, d’abord le Var, les Alpes-Maritimes et le Vaucluse. Roquebrune-sur-Argens (83) a été très impactée : il y est tombé l’équivalent de près de trois mois de pluie en 24 heures. A Pertuis (84), 112 personnes ont dû être mises à l’abri. Dans ces trois départements les sols ne font plus éponge tant ils sont artificialisés ! « On a laissé construire partout, n’importe quoi. Et aujourd’hui on le paye », lançait le ministre de l’intérieur Christophe Castaner lors de sa venue dans le Var après la première crue. Selon l’Insee, en 2016, 19 % de la population de Paca, soit 998 100 habitants, vivaient en zone inondable, dont 30 % dans les Alpes-Maritimes et le Vaucluse. Et depuis les années 2000, les constructions sur ces zones sont en progression dans ces deux départements, pourtant les plus exposés.
Les décideurs locaux n’aiment pas le vide, et préfèrent le béton à la nature. le Ravi en conte les déboires, environnementaux, de mois en mois. France Nature Environnement (FNE) Paca tire la sonnette d’alarme en dénonçant l’étalement urbain effréné et en interpellant les élus. « Il est consternant qu’aucune leçon ne soit tirée de ces drames qui se répètent pourtant chaque année. On bétonne et on s’étonne », souligne Nathalie Chaudon, directrice de l’antenne régionale. La FNE, qui fédère 250 associations locales, siège dans des commissions de concertation en amont. Et lorsqu’elle n’est pas entendue, elle active le levier contentieux en aval, en attaquant des permis de construire ou des plans locaux d’urbanisme (PLU).
« On bétonne et on s’étonne »
Elle a notamment dénoncé le projet du Yotel à Cogolin (83) qui prévoit la construction de 1200 logements sur 60 0000 m2 dont 13 hectares en zone bleue PPRI (Plan de prévention des risques d’inondations. Zone constructible sous conditions) ! Lorsque le Ravi interrogeait le maire ex-FN, Marc-Etienne Lansade, en 2016 sur un projet pour lequel la partie boisée devait être amenée à disparaître, il répondait : « Vous croyez que l’écosystème est en péril parce qu’il y a 500 arbres là-dedans ? C’est complètement débile ! » Aujourd’hui l’édile ne nous répond plus. En première instance, le TA a annulé le permis. La mairie a fait appel. « Le rapporteur public est favorable à notre argumentaire, on saura d’ici un mois si le juge aussi », espère la directrice de FNE.
Dès son élection en 2014, la folie des grandeurs du maire FN et de son conseiller spécial pour les grands projets d’urbanisme, Jean-Marc Smadja, cousin d’Isabelle Balkany, a défrayé la chronique. Les intempéries de novembre ont d’ailleurs donné raison à ceux qui comme le collectif Place publique s’inquiétaient de la construction d’une maison de santé sur le canal du Rialet. Fin novembre, sous la pression des eaux, la galerie du ruisseau s’est effondrée à l’entrée du parking provoquant un trou de deux mètres de profondeur. « Si les éboulements ont obstrué une partie de l’écoulement des eaux, lors de prochaines crues tout reste à craindre en terme d’inondation », redoute Francis José-Maria, du collectif.
Autre projet litigieux en région, le pharaonique Open Sky, à Valbonne Sophia Antipolis (06). 60 000 m² de surfaces commerciales, 20 000 m² de bureaux, 10 000 m² d’hôtellerie, la construction d’un lac artificiel alimenté de 25 000 litres d’eau par jour, en partie localisé dans le bassin versant de la Brague, rivière tristement célèbre suite aux inondations de 2015 et la mort de quatre personnes. Une aberration écologique. 13 associations demandent à l’Etat d’intervenir pour annuler le projet. FNE et le collectif MySophiaAntipolis attaquent le permis. Mais le défrichage des 15 hectares a déjà commencé.
« On veut que financièrement le projet se casse la gueule. Il faut que les élus comprennent qu’il y a un risque à se lancer dans ce genre d’aventure », insiste Raphaël Jouvet du collectif. Initié sous l’ancien sénateur-maire PS Marc Daunis – qui a annoncé sa candidature à Valbonne pour les municipales – le projet enquiquine désormais les élus dont l’ancien député et maire d’Antibes Jean Léonetti (LR), président de communauté de commune (CASA). Le promoteur, la Compagnie de Phalsbourg, dit vouloir attaquer le collectif en diffamation.
Les élus laissent couler
FNE pointe du doigt la responsabilité des élus locaux concernant les PLU. « Les maires justifient l’étalement urbain par des taux démographiques surdimensionnés, explique Josette Fays, présidente de l’association Var Inondation Ecologisme (V.I.E de l’eau). Le plus souvent il s’agit de constructions non habitées en hiver. Au tourisme de masse, on sacrifie des vies humaines pour un besoin qui n’est même pas primaire », s’insurge Josette Fays. Elle même a tout perdu en quelques heures lors de la crue de 1999. FNE pointe aussi la responsabilité de l’Etat dans son rôle de contrôle de légalité et de prévention de risques. Certaines communes, comme La Seyne-sur-Mer, n’ont toujours pas de PPRI (Plan de prévention des risques d’inondation).
« Par manque de moyens de l’Etat, des communes fonctionnent encore avec un Porter à connaissances (PAC), un simple document administratif entre l’Etat et la commune non comparable à un PPRI en termes d’informations sur les zones inondables pour les futurs acquéreurs ou locataires ! », souligne Josette Fays. Pour un projet de lotissement en bordure de la Garonnette à Sainte Maxime (83), en février dernier, la préfecture a ainsi décrété un PAC. « Si le projet se fait, ceux qui vivront là ne sauront peut-être pas qu’ils sont en zone inondable », insiste-t-elle. Pourtant en 2018, une conseillère municipale gardannaise y est décédée dans sa voiture, emportée par la crue.
Les mairies sont censées alerter la population en amont des crues par des envois de SMS : mais à Solliès-Pont, les textos sont arrivés avec deux heures de retard ! Les maires sont aussi très frileux pour organiser des réunions publiques sur les risques encourus, surtout avant des municipales. « Il ne faut pas faire croire aux Varois qu’il n’y aura plus d’inondations. Ce n’est pas vrai. Moi je ne serais pas de ces gens-là. Il faut vivre avec le risque et l’appréhender au mieux », souligne Liliane Boyer, maire du Muys (83), une des rares à remettre en cause l’étalement urbain. Elle pointe aussi du doigt des lois environnementales contraignantes qui, selon elle, freinent les communes à engager les travaux de prévention.
Le maire de Hyères, ancien député LR, Jean-Pierre Giran, a quant à lui mis en cause la loi SRU ! « La réalité sur Hyères c’est qu’il n’y a que 13 % de logements sociaux, ce qui représente 1 % de l’imperméabilisation des sols, rétorque Jean-Paul Jambon, le délégué départemental de la fondation Abbé Pierre. Lorsqu’il était à la mairie de Saint Cyr, notamment avec le projet du Plan de la Mer, Monsieur Giran a fait partie de ceux qui ont le plus bétonné ! » Pendant ce temps là, la pluie continue de tomber…