Une crise de l'habitat partie pour durer
L’effroyable drame du 5 novembre 2018 a révélé l’ampleur pourtant connue de l’habitat indigne à Marseille et en France. Dans la deuxième ville de France, près de 100 000 personnes vivent toujours, un an après, dans quelques 40 000 logements indignes. Les effondrements des immeubles de la rue d’Aubagne ont permis d’alerter l’opinion et les pouvoirs publics sur cet enjeu qui relève de la sécurité (le péril) et de la santé publique (l’insalubrité).
De nombreux Marseillais inquiets de l’état de leur logement se sont fait connaître des pouvoirs publics, qui ont aussi dans la précipitation repris des dossiers connus de longue date. En un an, ce sont bientôt 400 immeubles qui auront été évacués, nécessitant la prise en charge de plus de 3100 personnes qu’il a fallu héberger à l’hôtel ou reloger. Les nombreux dysfonctionnements dans cette réponse d’urgence ont souvent été perçus comme une véritable violence institutionnelle par les personnes concernées et la société civile mobilisée, qui a fini par imposer une réponse digne lors de la négociation d’une charte du relogement.
Si la réponse d’urgence a souvent été insuffisante, les réponses de long terme, pour traiter à la racine l’habitat indigne, ont-elles été mises en place ? Dès le lendemain du drame, la Fondation Abbé Pierre avait fait part de ses attentes et de ses propositions. Hélas, au national comme au local, il y a eu beaucoup d’annonces, et peu d’actions concrètes.
Au plan national, la plus grosse avancée ne prend aujourd’hui la forme que d’un simple rapport parlementaire qui préconise de simplifier les procédures de police et d’en confier la responsabilité à un acteur unique, pour en améliorer le pilotage. Si ces pistes sont intéressantes, il faudra néanmoins être vigilant à ce que cela ne réduise pas les droits protecteurs des occupants, par ailleurs peu mentionnés dans le texte. L’annonce faite en début d’année pour demander des objectifs de lutte contre l’habitat indigne chiffrés aux préfets a été abandonnée. Peu de moyens supplémentaires ont été budgétés (excepté un renfort des moyens, encore trop faibles, du parquet dans six départements pour lutter contre les marchands de sommeil). Enfin, la création d’un numéro habitat indigne a été un acquis positif de l’année écoulée, mais encore faut-il se poser la question de l’aboutissement des appels : combien permettront réellement un accompagnement du ménage ? Combien aboutiront à la définition d’une stratégie pour obtenir des travaux ou une condamnation du bailleur ?
A Marseille non plus la réponse de long terme n’a pas été mise en œuvre. La métropole et la ville tardent à réaliser les travaux de rénovation des immeubles évacués (qui ne concernent pourtant que moins de 10 % des logements indignes) et à organiser leurs services pour répondre à l’enjeu (qui porte à la fois sur la sécurité, le sanitaire et le social). Aucun travaux d’office n’ont été engagés. L’audit sur les 4000 immeubles potentiellement indignes, promis par Christophe Castaner, le ministre de l’Intérieur, l’an dernier, n’a pas été mené. L’Etat et la métropole avaient annoncé un plan de 600 millions d’euros : un plan partenarial d’aménagement (PPA) a été signé. Ce PPA devrait être initié début 2020 et piloté par une Société publique locale d’aménagement (SPLA) d’intérêt national. Mais pour le moment rien n’est opérationnel et aucun engagement budgétaire précis n’a été pris pour traduire ce plan de 600 millions en acte.
Et si certains outils commencent à être esquissés, comme le permis de louer, on manque toujours d’une stratégie claire et affirmée pour résorber durablement l’habitat indigne. Cette stratégie devrait avant tout se traduire dans un Programme Local de l’habitat intercommunal (PLHi). Or la métropole vient d’annoncer qu’elle en reporte le vote après les élections municipales. Ce très mauvais signal s’ajoute à un vote scandaleux par la métropole d’une exemption des objectifs de la loi SRU pour 32 des 92 communes en matière de production de logement social.
Pourtant, c’est l’absence de logements accessibles aux plus pauvres qui contraint ces ménages à accepter de vivre dans des taudis. Et transformer ces taudis en logements sociaux dont on manque cruellement en centre-ville serait une réponse durable. D’autant que la mobilisation du peu de logements disponibles pour les délogés va impacter lourdement nos capacités à apporter une réponse aux ménages de plus en plus nombreux qui viennent gonfler les chiffres catastrophiques du sans-abrisme à Marseille. Sans un sursaut rapide des responsables politiques, associant la société civile, et l’affirmation d’une vraie volonté politique qui ferait fi des égoïsmes locaux et de l’indifférence aux questions de mal logement, tout laisse hélas penser que la crise du 5 novembre va durer des années.