« L’heure a sonné pour les écologistes »
le Ravi : Pourquoi faire le choix, à Marseille, d’une candidature autonome des écologistes ?
Sébastien Barles : Des collectifs souhaitaient s’impliquer dans l’échéance municipale, on a donc lancé l’appel « S’unir ou subir », pour bâtir une offre écolo-citoyenne répondant à l’urgence sociale, environnementale et démocratique. Mais il y a deux écueils dans cette logique unitaire : d’abord, l’emprise des organisations politiques sur l’émergence citoyenne. Ensuite, le risque de s’enliser dans un processus qui n’aboutit jamais. Aujourd’hui, la force qui mobilise les citoyens, abstentionnistes y compris, c’est l’écologie.
Votre décision de partir seul a quand même jeté un froid…
Les effondrements de Noailles ont provoqué un sursaut : on ne se laisse plus faire, on va s’impliquer. Mais l’unité est une condition, pas un préalable. L’essentiel c’est le projet sur lequel on réunit, et l’offre que l’on donne, avec les quartiers populaires. Je comprends que les gens soient déçus qu’on ait créé notre pôle autour de l’écologie mais j’ai peur que la liste de rassemblement ne déçoive encore plus.
On vous rend responsable par anticipation de la défaite de la gauche aux municipales.
C’est dingue ! On nous a même fait porter la responsabilité des morts de la rue d’Aubagne ! Un peu de nuances !
La stratégie de rassemblement c’est donc bel et bien terminé ?
Seuls, nous ne gagnerons pas Marseille. Mais le dialogue est parfois compliqué, avec les communistes par exemple, sur la question de la reconversion industrielle de l’étang de Berre, ou de Gardanne. Mais les membres du Pacte démocratique et du Mouvement sans Précédent (désormais nommé Printemps marseillais, Ndlr) ne sont pas des adversaires. Nos listes et projets sont proches, il faut se considérer comme des partenaires de second tour.
Des écologistes, opposés à votre choix, entrent en dissidence…
C’est assez dérisoire, trois militants sont partis et c’est leur droit. Moi-même aux municipales en 2014, je m’étais auto-suspendu pour monter une liste citoyenne.
Votre choix d’aujourd’hui est-il lié à l’échec de votre expérience de liste citoyenne, unioniste, en 2014, conduite par Pape Diouf ?
Cette liste portait, en 2014, un vrai projet de justice, fédérant des figures politiques issues des quartiers populaires. Mais pendant l’entre-deux tours, on était mal préparé, il y a eu un culte de la virginité, d’une certaine pureté citoyenne et nous n’avons pas fait barrage au FN. C’est l’erreur funeste de cette liste.
Faire barrage au RN est-il un enjeu primordial en 2020 ?
On sera très vigilant pour empêcher qu’un secteur bascule RN. Mais on empêchera aussi la porosité qui existe entre une certaine droite « Marioniste » et l’extrême droite. Nous ne nous effacerons pas pour des LR comme un Guy Teissier, Valérie Boyer, ou Lionel Royer Perreaut. Il faut porter une offre alternative la plus large possible au second tour pour éviter le pire.
Votre liste sera-t-elle exclusivement un conglomérat de formations écologistes ?
Les formations écologistes ne représenteront que 50 % de nos listes. On prend l’engagement que l’autre moitié vienne de la société civile.
Vous inscrivez-vous dans une stratégie nationale ?
L’heure a sonné pour que les écologistes prennent le pouvoir. On n’est plus des lanceurs d’alerte, le réveil des consciences est massif. Ce sont les nombreuses villes dirigées par les écolos qui innovent, qui servent de laboratoire pour réveiller une gauche sortant du productivisme, retrouvant ses valeurs d’humanisme, de solidarité. Mais Yannick Jadot ne nous impose pas une stratégie.
Au clivage entre droite et gauche substituez-vous celui entre les « terriens contre les destructeurs » ?
À Marseille, il y a ceux qui souhaitent protéger la ville et ceux qui la détruisent. Prenons exemple avec la privatisation de la Villa Valmer, afin de construire un hôtel de luxe sur cet espace partagé : certains riverains ne sont pas de gauche et comprennent néanmoins qu’il faut défendre le bien commun. Mais les valeurs droite / gauche restent un repère. Et celles portées par l’écologie sont de gauche : partage, solidarité, égalité, fraternité. Aujourd’hui, le clivage se fait entre productivistes et anti-productivistes.
L’écologie peut-elle répondre aux besoins d’une ville paupérisée comme Marseille ?
L’écologie qu’on prône prend soin, protège, répare. On pense aux écoles, dont la moitié posent problème : les enfants y étouffent l’été et y ont froid ou y prennent l’eau l’hiver. Les cités marseillaises sont aussi des passoires thermiques. On veut améliorer l’état des écoles et le pouvoir d’achat en répondant à l’urgence écologique et sociale.
Vous dites vouloir « remettre l’intérêt général au centre ». Est-ce une dénonciation du bilan de Jean-Claude Gaudin ?
Il y a un problème évident à Marseille où les politiques ne servent que les intérêts privés. Gaudin a instauré un clientélisme de droite, en arrosant les promoteurs et les plus favorisés. Mais le clientélisme de gauche existe aussi, avec le saupoudrage associatif, les emplois fictifs.
Mais votre famille politique n’est pas à l’abri. Citons Karim Zéribi, mis en examen pour abus de biens publics…
Il n’est plus chez nous. Nous n’avons jamais eu de condamnations liées au détournement d’argent public. Je ne dis pas qu’on est les plus vertueux, mais nous voulons une démocratie balancée par des contre-pouvoirs pour empêcher certaines dérives.
Et quid de Christophe Madrolle et Mohamed Laqhila, anciens EELV, louant des appartements aux Rosiers, une copropriété privée digne d’un bidonville ?
Ils ne sont plus chez nous. Je ne connais pas les cas particuliers mais a priori ça n’est pas du logement insalubre. Il faut hiérarchiser entre ce qui est condamnable, nécessitant une démission, et le petit profit pas forcément recommandable.
À un an du drame de la rue d’Aubagne, comment répondre à l’urgence du mal-logement ?
Il faut un plan Marshall dans le centre ville contre l’habitat indigne. 3000 délogés et 100 000 Marseillais qui vivent dans le mal logement, c’est l’urgence numéro 1 ! On voudrait une opération internationale, avec des fonds européens, le soutien de l’Etat et des collectivités mais piloté par une conférence citoyenne. Il y a aussi d’autres moyens d’agir : 30 000 logements publics sont vacants à Marseille, il faut au plus vite les réquisitionner.
Vous promettez de reverser vos indemnités d’élus à des projets démocratiques et environnementaux. C’est-à-dire ?
L’idée est de créer une maison de l’écologie, une ruche de projets écolo-citoyens, gérée par une association. Ça sera au minimum 10 % de nos indemnités.
Le prochain maire de Marseille devra composer avec une puissante métropole fusionnée avec le département. C’est l’échelon pertinent ?
C’est essentiel d’avoir une vision métropolitaine. Dans la logique actuelle, les critères de Shanghai s’imposent avec la compétitivité. Mais il n’y a ni ruissellement, ni solidarité territoriale. On veut une éco-métropole, promouvant une autre forme de développement et de tourisme, relocalisant l’économie.
Pensez-vous réellement pouvoir déjouer les pronostics des sondeurs qui annoncent la victoire de LR avec Martine Vassal ?
Elle est l’héritage de Gaudin dont elle porte le bilan. Elle envoie des signaux contradictoires. Elle dit soutenir l’agriculture mais ses élus à la métropole défendent le contournement autoroutier qui va détruire des espaces naturels et agricoles. Elle est l’incohérence absolue. Elle ne peut pas être l’héritière et le renouvellement.
« L’heure a sonné pour les écologistes »
C’est officiel, Marseille a désormais sa Greta : Sébastien Barles conduira aux prochaines municipales une liste « écolo-citoyenne ». Premier effet radical : l’annonce a fait baisser la température en jetant un froid parmi ceux qui tentent de rassembler sur une liste unique, écolos, partis de gauche et mouvements citoyens.
Contrairement à Greta, il n’a ni tresses, ni 16 ans. Il est né il y a 46 ans à Nice. Mais lui aussi est tombé très jeune dans l’activisme politique. Syndicaliste étudiant libertaire, il terrorise la Riviera en militant à Amnesty International ou auprès de Droit au logement. A Aix-en-Provence, où il étudie le droit, il bataille contre l’extrême droite avec Ras l’front. A Paris, à 26 ans, il rejoint les Verts et les altermondialistes.
A 34 ans, retour au sud, à Marseille. Il devient secrétaire général des Verts au Conseil régional aux côtés de Jean-Luc Bennahmias, pas encore recyclé chez les centristes. En 2008, il décroche son premier mandat comme conseiller municipal d’opposition. L’année suivante, il est attaché parlementaire de la députée européenne Michèle Rivasi, poste qu’il occupe toujours…
Sébastien Barles est connu comme l’homme qui créait des collectifs plus vite que son ombre : les Gabians pour faire de « l’agitation citoyenne », Marseille en commun pour bâtir « un projet de rupture », le syndicat des poussettes enragées… Liste non exhaustive !
Pour les municipales en 2014, après avoir créé le collectif « le sursaut », il avait joué la carte de la « nouvelle donne » de Pape Diouf. Un choix en faveur d’une liste de large rassemblement alors sanctionné par une « suspension » de son parti pour « dissidence ». Une autre époque…
M. G.