Le patron des patrons en péril dans des taudis familiaux
Son nom apparaît encore sur l’arrêté de péril placardé sur la porte d’entrée de l’immeuble. Président du syndicat patronal UPE 13, le Medef des Bouches-du-Rhône, et jusqu’à il y a peu de l’URSSAF Paca, Philippe Korcia a géré pendant dix-sept ans le 46-48 rue Tapis Vert, un immeuble imbriqué avec l’église intégriste de la Mission de France Pie X, dans le quartier de Belsunce à Marseille (1er arrondissement). Avant, le 2 septembre, d’en restituer conjointement avec son cousin et cogérant les manettes à leurs mères, les vraies propriétaires de cette société civile immobilière familiale. Cinq jours plus tard, un mois après leur installation, Amira Oualid et ses trois enfants de 5, 6 et 7 ans sont évacués par les services municipaux et les pompiers. Sa fille a manqué de se retrouver dans l’appartement du dessous, suite à un effondrement du plancher de la salle de bain.
Fin octobre, une inspection plus approfondie de ce dédale de couloirs et d’étages mène à l’évacuation de trois autres des 28 logements. Là encore, les planchers sont jugés dangereux par les fonctionnaires. Assez pour que l’expert désigné par le tribunal administratif quelques jours plus tard confirme un péril grave et imminent. Une autre crainte vient d’un local situé au deuxième étage, qui centralise une demi-douzaine de compteurs électriques, régulièrement douchés par une salle de bain située au-dessus. Rebelote en janvier : un nouveau péril simple impose l’évacuation d’une cinquième famille. « Il n’y a pas d’urgence, mais sur la trentaine de logements de l’immeuble, il n’y en a que trois qui ne sont pas touchés par des désordres de planchers », indique Patrick Amico, adjoint (Printemps marseillais) au logement, qui a signé le dernier arrêté d’interdiction d’occupation le 28 janvier. Finalement, tous les appartements devaient être évacués début février pour un chantier de confortement des structures de plusieurs mois. Les charpentes seraient vermoulues.
Affaires de famille
Directeur général de Voyages Eurafrique, un réseau d’agence de voyage, Philippe Korcia défend la gestion de cet immeuble de 900 m2 acheté par son grand-père en 1993 au centre communal d’action sociale de la ville de Marseille (1). « Après son décès, en 2003, je prends la gérance avec mon cousin. On veut faire quelque chose de bien. On s’engage à faire des travaux, enfin ma mère et ma tante, qui prennent un crédit de 500 000 euros. Il fallait refaire les salles de bains, la lumière, etc. », raconte le patron des patrons des Bouches-du-Rhône, aux affaires plutôt prospères, jusqu’à cette année. Et d’insister : « Cet immeuble est entretenu, on a géré en bon père de famille. On réalise 40 000 à 50 000 euros de travaux tous les ans, on est proactif. La diligence que font les dirigeants de la SCI est exceptionnelle. » Dernière preuve, selon lui : leur décision de reloger, à leurs frais, leurs locataires en résidence hôtelière pendant toute la durée des travaux. Comme l’impose la loi…
La réalité est moins rose. Des problèmes sur l’immeuble sont signalés à la mairie depuis au moins le début des années 2000, des avis d’expulsion fleurissent dans l’entrée de l’immeuble, certains logements sont sur-occupés, de l’herbe et des plantes poussent sur certaines toitures et gouttières. Plutôt en bon état général, les parties communes laissent à désirer sur plusieurs points : garde-corps mal scellés, fenêtres laissant passer l’air ou même cassées… L’expert désigné par le tribunal administratif début novembre note aussi dans son rapport les états « très variables » des lieux : « Certains logements ont été entièrement rénovés et sont en parfait état. D’autres souffrent de graves problèmes d’humidité liés à une absence de ventilation. »
Propriétaires défaillants
Les témoignages recueillis racontent la même histoire. Un vieil homme nous a ouvert son appartement où un dégât des eaux mange une partie de son salon. Un problème signalé selon lui en vain depuis deux mois. Une situation vécue par un de ses voisins fin 2019. Il a dû alerter la mairie pour que le gestionnaire s’occupe enfin des infiltrations qu’il indiquait, lui aussi, depuis plusieurs semaines. Désormais, c’est sa salle de bain qui est mangée par l’humidité et les champignons.
Amira Oualid avait elle signalé le problème de plancher à Active Immo peu après son arrivée. Selon elle, un maçon était venu poser une planche, promettant de revenir réaliser des travaux. Elle et ses enfants ont été évacués avant que les travaux ne débutent. C’est aussi la ville qui a pris en charge leur relogement, les propriétaires s’avérant incapables de l’assumer. Amira Oualid prévient : « Il faut que la ville vérifie les travaux qu’ils sont en train de réaliser, pour s’assurer que ça n’est pas un cache misère. On m’a dit que les maçons revenaient régulièrement pour les mêmes réparations. »
Autant de situations pour lesquelles Philippe Korcia renvoie vers Active Immo, le gestionnaire de l’immeuble, et sa mère et sa tante, seules signataires des devis selon lui. Et de s’agacer : « Vous pensez qu’on profite de la vulnérabilité des gens ? » L’investissement est en tout cas rentable : selon nos calculs, les deux femmes empochent chaque année plus de 150 000 euros de loyers en se basant sur des baux moyens de 450 euros mensuels. « En partie payée par la CAF », reconnaît Philippe Korcia. A croire que c’est la suspension des allocations qui a hâté les travaux de confortement. Selon nos informations, suite au péril la CAF a arrêté ses versements pour les 28 logements le 5 décembre. Une attaque au portefeuille souvent décisive.
1. Un grand classique à Marseille : la ville est propriétaire d’un logement dans l’immeuble. Mais n’en connaît ni le numéro, ni l’état.