Le service d’hygiène de Marseille en péril ?
« La situation est regrettable. » Adjoint au logement et à la lutte contre l’habitat indigne de Benoît Payan, Patrick Amico reste d’un flegme très britannique alors que la directrice des ressources humaines (DRH) de la ville vient de laisser filer son nouveau directeur de la division hygiène et sécurité. En poste en Seine-Saint-Denis et recruté par la deuxième ville de France cet été, selon nos informations, ce dernier a décidé de jeter l’éponge faute d’avoir des nouvelles de son nouvel employeur…
S’il n’est pas le premier cas de recrutement raté – certains disent « saboté » – depuis l’alternance avec la victoire du Printemps marseillais il y a près d’un an et demi (le Ravi n°197), ce coup dans l’eau est problématique à plus d’un titre : le service en charge des questions des conditions de logement (santé, sécurité des habitants) est sans encadrement depuis avril et en péril depuis de nombreuses années. « C’est aujourd’hui le point noir de la politique de lutte contre l’habitat indigne », estime l’urbaniste Patrick Lacoste, de l’association un centre-ville pour tous. Malgré les critiques, les acteurs de la lutte contre le mal-logement posent en effet un regard positif sur les moyens mis en œuvre par la nouvelle majorité : bien que lui aussi décapité depuis six mois et victime d’une guerre entre anciens et modernes (1), le service des périls travaille ; la nouvelle charte de relogement signée en octobre fait l’unanimité, même si les associations attendent son application pleine et entière.
Trous dans la raquette
« Mais l’ancienne directrice du service hygiène, qui était très compétente, est partie par lassitude », poursuit Patrick Lacoste. Son constat est amer : « [Dans ce service], on est reparti comme sous Gaudin. » Au lendemain du drame de la rue d’Aubagne, la révélation d’un rapport de l’Agence régionale de santé par Le Monde (9/11/2018) avait jeté un regard cru sur les multiples dysfonctionnements du service. « C’est encore comme ça, il est toujours abandonné : des visites ne sont pas faites, les rapports pas systématiquement rédigés, il n’y a pas de suivi quand il n’y a pas de risques majeurs et les actions coercitives ne sont pas lancées », détaille Emmanuel Patris, militant du collectif du 5-Novembre et d’Un Centre-Ville pour tous. Selon l’aveu même de l’adjoint au logement, le service ne dispose que de six inspecteurs d’insalubrité alors qu’il estime les besoins à vingt postes. Moins que sous la dernière ère Gaudin…
Autre inquiétude d’Emmanuel Patris : « Ce qui est connu n’est que la partie émergée, car il y a des centaines de logements insalubres à Marseille » (2). Si une partie des signalements est pris en charge par la caisse d’allocations familiales des Bouches-du-Rhône, qui s’est substituée à la ville après le drame de novembre 2018, certains syndicats confirment les trous dans la raquette. « Il y a une priorisation des dossiers et certains secteurs de la ville ne sont plus suivis », assure par exemple la CFE-CGC. « Les périls sont privilégiés parce que ce sont des gros coups, avec de la fulgurance, alors que l’hygiène c’est du pied à pied et surtout énormément de travail derrière les arrêtés », complète Dominique Dias, l’ancien responsable du service des périls jusqu’en avril dernier et la décision de la mairie de mettre fin à son détachement du ministère de l’Environnement (3).
Jeu de dupes
Pour preuve, le fonctionnaire raconte le petit jeu joué par ses services en 2020 : « On a mis plus de moyens sur l’insalubrité avec 660 visites et saturé l’État de dossiers. Résultats, il y a eu plus d’arrêtés pris et plus de problèmes résolus, notamment 410 appartements refaits sous pression » (4). Selon la préfecture, le nombre d’arrêtés d’insalubrité a quasiment doublé entre 2019 et 2020 (13 contre 24) et retombe cette année (14 fin octobre). Autre signe des besoins : la ville travaille sur un marché à procédure adaptée de 200 000 euros pour la réalisation de prestations de « niveau 1 », la visite de diagnostic. « C’est un marché d’un an pour désengorger les visites non réalisées, soit plusieurs centaines », explique notre interlocuteur de la CFE-CGC.
Patrick Amico reste de son côté droit dans ses bottes et se veut rassurant : « Il n’y a pas de situations où on ne répond pas aux signalements. » Selon l’adjoint au logement, il s’agit surtout d’organiser la succession de la CAF et de se préparer pour les chantiers à venir : « Six postes sont en cours de recrutement et on cherche des solutions de niveau 1, notamment parce que l’on va avoir de nouveaux besoins sur les quatre îlots démonstrateurs [du programme partenarial d’aménagement du centre de Marseille]. » Celui-ci doit être lancé en 2022 et concernera 200 000 habitants des 1er, 2e et 3e arrondissements.
« On a des recrutements qui ne vont pas assez vite et qui sont compliqués à cause d’une politique salariale peu concurrentielle puisque la masse salariale doit baisser, la DRH a aussi des difficultés, mais il n’y a pas de problèmes à la Direction de la prévention et de la gestion des risques », poursuit l’élu. Avant d’insister : « Mon rôle est d’avoir un service qui fonctionne dans les conditions qui sont ce qu’elles sont. Il y a des tensions, des dysfonctionnements, mais pas de situation catastrophique. » Reste que sans encadrement et sans pilotage, même des marchés publics risquent d’avoir peu d’effet…
1. Selon nos informations, le service est toujours travaillé par deux visions de la gestion des périls : d’un côté la politique du parapluie, c’est-à-dire l’évacuation quasi systématique des habitants d’un logement indigne ou dangereux ; et de l’autre côté une politique privilégiant plutôt l’accompagnement des bailleurs à la réalisation des travaux nécessaires, y compris par la contrainte. La réorganisation en cours à la ville de Marseille pourrait favoriser la première. L’actuelle DPGR créée après le 5/11/2018 va être scindée en une direction de l’habitat, avec des divisions périls et hygiène, distincte d’une Direction sécurité civile en charge de l’urgence.
2. La préfecture annonce quelque 3 500 signalements de suspicion d’insalubrité au Pôle départemental de lutte contre l’habitat indigne (PDLHI) depuis 2016 pour Marseille, sur un total de 5 200. Chiffres hors signalements directs aux services de la ville.
3. Une décision que Dominique Dias conteste devant la justice.
4. La CAF annonce de son côté 270 visites à Marseille.