Frédérick Bousquet fait la culbute en cédant une ruine à Marseille Habitat
114 500 euros de plus-value, en moins de deux ans, pour un immeuble en péril. C’est l’exploit olympique réalisé au 197, avenue de la Capelette (10e) par le conseiller municipal et métropolitain Frédérick Bousquet. Nos investigations dans le cadre de l’opération La grande vacance, en partenariat avec La Marseillaise, Mediapart et Le Ravi, ont permis de mettre au jour cette transaction réalisée avec la société publique locale Marseille Habitat.
En 2017, avec plusieurs associés, le célèbre nageur, ex recordman du monde du 50 mètres nage libre, a jeté son dévolu sur un cas corsé : un ancien hôtel meublé de trois étages, vide et muré, doté d’un hangar en fond de cour, le tout visé par un premier arrêté de péril grave et imminent en 1999, complété par un péril non imminent en 2008. “Je n’étais pas au départ de cette opération », lancée par son associé Yohan Fhal, nous répond-il, indiquant ne pas s’être rendu sur place. Ce dernier considère également que Frédérick Bousquet « est arrivé après ».
C’est en tout cas lui qui préside la société et est le seul habilité à signer en son nom. “J’ai quand même suivi l’ensemble de cette opération puisqu’en tant qu’associé j’ai une responsabilité au-delà d’avoir un intérêt financier”, reconnaît l’élu. Il minimise par ailleurs sa plus-value en incluant les taxes et intérêts bancaires et n’y voit aucune incompatibilité avec la nomination proposée au conseil municipal de ce 27 janvier : suppléant de Jean-Claude Gaudin au sein du conseil d’administration de la nouvelle société publique locale d’aménagement d’intérêt national (SPLA-IN), montée par l’État et la métropole pour lutter contre l’habitat indigne.
La façade du 197 avenue de la Capelette, murée depuis plus de dix ans. Photo David Coquille La Marseillaise.
Une « opération de marchand de biens » sur un péril datant de 20 ans
En juin 2017, le propriétaire historique se laisse convaincre de céder son bien pour 220 000 euros. Mais les nouveaux propriétaires tardent à faire la démonstration de leur fibre rénovatrice. Frédérick Bousquet évoque une « opération de marchand de biens, c’est-à-dire un achat-revente dans un temps assez court ». Sauf qu’en attendant, ce sont les voisins de la rue Garnier, sur laquelle donne le hangar au toit éventré, qui se chargent d’étayer le mur commun. En décembre 2018, le taudis récolte même un nouvel arrêté de péril, dans la vague suivant les effondrements de la rue d’Aubagne et les voisins se voient interdire de sortir dans leur jardin. Deux mois plus tard, Marseille Habitat accepte de verser 334 500 euros à Frédérick Bousquet et ses associés en échange de cette ruine menaçante.
« Nous avions d’autres opérations en cours et un budget limité.
Cet immeuble ne faisait pas partie des priorités. »
Une intervention que la société publique, chargée par la métropole d’une concession d’éradication de l’habitat indigne, aurait pu déclencher de longue date. L’historique de péril du 197, Capelette lui valait en effet de figurer dans la liste des immeubles surveillés par Marseille Habitat. Mais, comme de nombreux autres bâtiments inscrits dans le contrat de concession, il n’avait pas suscité d’action concrète pendant vingt ans. “Nous avions d’autres opérations en cours et un budget limité. Il ne faisait pas partie des priorités”, pose la directrice des opérations urbaines et foncières de Marseille habitat.
Cela ne l’empêchait pas de s’assurer que les changements de propriétaire s’accompagnent d’un projet de rénovation solide et traduit dans les faits. Cette veille, effectuée via les déclarations d’intention d’aliéner que reçoit Marseille habitat, avait donné lieu à de premières discussions en 2013. Mais l’acquéreur potentiel n’était pas allé au bout. Et en 2017 ? Les versions divergent. La directrice des opérations urbaines et foncières dit ne pas avoir souvenir de cette vente, a fortiori de la présence de l’élu municipal et métropolitain dans les acquéreurs.
Le directeur général Christian Gil assure au contraire que sa société avait obtenu des engagements des nouveaux investisseurs : « On s’était dit « on va voir s’il est de bonne foi car on n’a pas les finances pour intervenir partout « . Quand en 2019, ils ont voulu revendre on s’est dit « c’est bon, vous nous avez assez pris pour des idiots avant ». » Là encore, le nom de Frédérick Bousquet serait passé inaperçu. C’est Stanislas Gaubert, gérant de SG développement – l’autre société inscrite dans l’acte de vente, où il est associé avec son épouse Olivia Caselli – qui aurait géré les relations avec la société d’économie mixte de la Ville.
Même s’il nie avoir monté l’opération, pour un observateur extérieur, le nageur figure pourtant en bonne place dans les statuts constitutifs de F & B développement, qu’il préside. En mai 2017, un mois avant la finalisation de la transaction, dans les statuts de leur société, ils vantent le « savoir-faire dans le domaine de la gestion financière, administrative et comptable » de l’ancien nageur. Dans cette présentation inhabituelle pour ce type de document, son associé à parts égales, Yohan Fhal, a tenu à inscrire qu’il « possède un savoir-faire dans le domaine de l’immobilier et bénéficie d’un relationnel local important ».
Un associé repéré dans cinq immeubles en péril
Au diapason avec Frédérick Bousquet, cet investisseur, repéré dans pas moins de cinq autres périls – dont le 51 boulevard Dahdah ainsi qu’un autre avec le nageur, un restaurant au rez-de-chaussée d’un immeuble en copropriété – raconte que Marseille habitat a fait irruption dans ce dossier alors que le 197, avenue de la Capelette allait être « vendu à un professionnel qui avait un projet. On était sous compromis, on a été contraints à vendre à Marseille habitat, au même prix ». Une « contrainte » plutôt douce, vue la plus-value associée. Quant au « professionnel », il n’est pas un inconnu du marché de l’habitat indigne : David B. a été écroué en novembre 2019 pour avoir loué un appartement en péril sur la plate-forme Booking. Comment a-t-il pu accepter un tel écart de prix en l’absence de travaux ? « Posez lui la question », élude Yohan Fhal, comme s’il ignorait son statut actuel de détenu.
À Marseille Habitat, on justifie aujourd’hui l’intervention par la personnalité de l’acheteur, ajoutée à l’inertie du vendeur. Et on s’abrite derrière ce qui constitue une sorte de prix du marché pour écarter l’idée de tout cadeau à Frédérick Bousquet. D’autant plus qu’il a été validé par France Domaine, le service du ministère des Finances qui est compétent en la matière. Consulté par nos soins au siège de Marseille habitat, l’avis se borne à conclure que la somme “n’appelle pas d’observation”. Les dates mentionnées sur le document laissent à penser qu’il s’est fait sans visite, même si l’état dégradé est mentionné : reçu le 24 janvier 2019, il est daté du 25 janvier et la ligne de la date de visite est vierge. La directrice des opérations foncières et urbaines assure pourtant s’être déplacée personnellement avec l’agent de France Domaine.
“On est obligé d’acheter au prix des Domaines. Si on achète pas au prix du compromis on laisse passer. On a suracheté par rapport au prix réel mais je n’ai pas la loi de mon côté, les lois sont mal faites”, se lamente Christian Gil. En réalité, même si ce n’est pas l’usage courant, Marseille habitat avait la possibilité de proposer un prix inférieur, étant donné l’écart de + 52 % en moins de deux ans. Le prix aurait alors dû être fixé par le juge de l’expropriation, une procédure certes plus lourde et incertaine. Frédérick Bousquet et ses associés auraient aussi pu renoncer à vendre. Ils auraient alors dû se plier à la mise en sécurité prescrite par l’arrêté de péril, sous la menace de travaux d’office de la mairie de Marseille. Une menace rarement portée à exécution.
Julien Vinzent (Marsactu), avec Benoît Gilles (Marsactu) et David Coquille (La Marseillaise).