Habitat indigne : les services de la ville toujours en péril

Ultime cadeau à Jean-Claude Gaudin avant sa retraite : le jugement sur le référé-liberté de l’association juridique du Collectif du 5 novembre (C5N). Laquelle, face à l’habitat indigne, dénonce l’« atteinte grave et illégale » à nombre de « libertés fondamentales ». Se déclarant incompétent, le tribunal administratif estime que les mesures à prendre sont « d’ordre structurel » (et non de simples « mesures d’urgence ») et acte que, face à « une augmentation très importante des signalements et des périls », la ville aurait mis en œuvre des « moyens », notamment « humains » comme à la « Direction de la prévention et de la gestion des risques » (DPGR).
Une réponse qui rappelle celle de la Ville un an après le drame de la rue d’Aubagne lors du « comité technique » de novembre. Alors que la FSU s’inquiète d’un « manque cruel de moyens » matériels (véhicules, informatique…) et humains (agents et formation), le directeur général des services promet : « À crise exceptionnelle, réponse exceptionnelle et demain, solutions aussi exceptionnelles ! » Mais insiste : la question de « l’habitat dégradé » n’est ni « nouvelle » ni « seulement marseillaise ». Piquant alors que le rapport d’expertise sur l’effondrement des immeubles de la rue d’Aubagne vient d’être rendu public…
Pas de quoi satisfaire le C5N. Pour étayer sa requête, l’association s’est pourtant appuyée sur la lettre des agents alertant sur les « dysfonctionnements graves » au sein de la DPGR, dont la publication par le Ravi a suscité une vraie « chasse aux sorcières ». En avril dernier, les chiffres distillés en disaient déjà long : « 2 600 signalements d’immeubles sous suspicion de péril en attente », « 80 immeubles en péril grave et imminent non suivis »…
Et ça n’est pas fini. D’après le collectif, durant le confinement, il y a eu, jusqu’en mai, « 4 périmètres de sécurité, 9 interdictions d’occuper, 16 périls graves et imminents » et, jusqu’en juin, « 2 périmètres de sécurité, 11 interdictions d’occuper, 8 périls graves et imminents, 12 périls simples ou ordinaires »… Dans un courrier adressé mi-juin au cabinet de Gaudin et révélé par le Ravi, la CFE-CGC/CFTC se préoccupe aussi « de nombreuses alertes restées sans suite ou réponse ». Ajoutant : « Malgré les recrutements, le personnel demeure en sous-effectif, de nombreux cadres épuisés ont préféré quitter le service ou ont été placés en arrêt-maladie. » Un service qui a changé de tête quatre fois. « Dont un amiral à la retraite…. qui a fini par faire un AVC ! »
« Cadres épuisés »
Quand les langues se délient, on sent la fatigue : « Il faut se battre pour chaque dossier, soupire un agent. La bascule, c’est un an après les effondrements. La ligne à suivre ? Évacuer un minimum et réintégrer au maximum. » Confirmation d’un de ses collègues : « Le mot d’ordre, c’est “la crise est derrière nous”… » En ligne de mire, l’allongement des délais d’intervention : « Avant, entre le signalement, la désignation d’un expert et l’évacuation, c’était en quelques jours. Maintenant, ça peut prendre des semaines. »
Autre souci ? La rédaction des arrêtés : « Normalement, pour faire lever un arrêté de péril, il faut des “travaux mettant fin durablement aux dysfonctionnements”. Si vous n’exigez que des “travaux mettant fin à l’imminence du péril”, plus besoin de travaux définitifs. Vous pouvez réintégrer plus vite. » Un changement de doctrine que certains, en interne, assument : « Il faut sortir de la culture de l’urgence. Il y a eu des milliers de personnes évacuées. Avec les conséquences que l’on sait. Combien en faut-il d’autres ? » Un point de vue que commence à partager une association comme Un Centre-ville pour tous : « Il est important de sortir de la religion du péril imminent pour séparer les problèmes d’hygiène des appartements dangereux, estime Patrick Lacoste. Et lancer plutôt des mises en demeure pour la réalisation de travaux d’office. »
« La DPGR, c’est un service particulier, qui prend une ampleur particulière dès quand il y a un problème. Avec la crise qui a suivi le drame de la rue d’Aubagne, il y a eu une injonction pour que ça n’arrive plus. Mais ça ne se décrète pas », remarque un cadre de la ville, sous couvert d’anonymat. Et de pester : « Ce service est représentatif de la gestion de la ville. Le truc de Gaudin c’est de faire de la politique, pas la ville. »
Défaillances en série
La preuve. En matière de travaux, justement, la ville est toujours autant défaillante (Marsactu, le 01/02/2019). Alors que la mairie peut se substituer aux propriétaires lorsque ces derniers ne les réalisent pas, elle ne s’est toujours pas dotée des moyens d’utiliser cet outil. « On nous demande de faire moins de péril grave et imminent alors que le service des travaux d’office n’est pas foutu de sortir un marché », s’agace-t-on chez les architectes. « Il y a désormais trois agents au lieu d’un, mais le service n’a toujours pas les marchés à bon de commande ou les catalogues de travaux nécessaires », confirme le cadre d’un autre service et représentant syndical qui est venu prêter main-forte au plus fort de la crise.
« On a créé une direction mais sans organisation claire. Et des services ont été créés dans une pénurie incroyable », regrette le syndicaliste. Et d’assurer : « On est très loin de l’objectif affiché d’une direction de 180 agents. Sur les opérations d’urgence par exemple, ils sont passés de quinze personnes au plus fort de la crise à quatre en ce moment. » Des agents eux aussi en surchauffe…
Très critique sur le service hygiène de la ville juste avant le drame l’Agence régionale de la santé (ARS), le bras armé de la préfecture en matière d’insalubrité (Le Monde, 09/11/2018), se fait plus mesurée. « Il y a une évolution très nette, insiste ainsi Philippe Silvy, le responsable du service insalubrité de l’ARS. Au-delà des architectes et de techniciens, il y a eu aussi à la ville et à la métropole des recrutements de juristes, ce qui montre la prise en compte de la nécessité de consolider les décisions prises. » Mais de reconnaître : « Il y a toujours besoin de nouveaux moyens. » Exemple avec les travaux d’office : « Il n’y a pas de politique gratuite. Si la mairie veut en imposer, elle doit se donner les moyens de s’y substituer. Elle pourrait même s’appuyer sur l’État, via les subventions de l’Agence nationale de l’habitat. » Qui attend toujours son coup de fil…
Autre problème pour l’ingénieur, le retard pris dans le transfert des compétences péril à la métropole (3). Un transfert envisagé sous forme de mutualisation de moyens avec la ville dès janvier. Mais qui est depuis suspendu (1). Une pierre lancée dans la cours de la nouvelle majorité, élue le 28 juin. Reprise au vol par le tribunal administratif. Dans son jugement du référé, il rappelle que les moyens mis en œuvre dépendent de « choix de politique publique ».
1. Marsactu, 01/02/2019.
2. Lemonde.fr, 09/11/2018.
3. Domnin Raucher, le directeur général des services de la métropole, n’a pas répondu à nos sollicitations.