« Les huit morts me hantent »
08:00
Disposées en carrés, les barrières de police ceinturent toute la mairie. Plus de 300 manifestants se serrent, ce 20 décembre, autour du camion rose du syndicat Sud. Le soleil levant allonge en direction de la mairie les ombres de huit cercueils en carton, un pour chacune des victimes de l’effondrement de la rue d’Aubagne et un pour Zineb, habitante de Noailles de 80 ans, tuée par un éclat de grenade lacrymogène. Une fanfare joue la marche funèbre, mezza voce.
« On devait se retrouver à huit heures pour parler aux manifestants », s’inquiètent deux élus socialistes plantés au milieu du château fort qu’est devenue la mairie. Finalement, en l’absence de ses camarades, le duo préfère aller papoter avec la presse. On ne sait jamais, en ce moment le peuple est versatile.
08:35
Éternel feutre noir sur la tête, Fathi Bouaroua, membre du collectif du 5 Novembre et ancien délégué régional de la fondation Abbé Pierre, prend le micro. « Nous avons été reçus par le maire mardi, une première rencontre 42 jours après le drame ! La reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle va accélérer les indemnisations, mais il manque toujours des moyens à la hauteur de la catastrophe sociale et politique ! » La foule gronde « Ré-quisitions !! Ré-quisitions !! ». Depuis le balcon de la mairie, deux policiers scrutent à la jumelle. « Fais pas le con, te jette pas !! », chambre un manifestant.
Quarante-cinq jours après le drame du 5 novembre et dix jours après la date initiale du conseil municipal, Jean-Claude Gaudin se lève pour une minute de silence « en hommage » aux huit morts de la rue d’Aubagne.
09:00
Une élue CGT territoriaux égrène au micro les conditions de travail déplorables dans les cantines scolaires, les bibliothèques, les pompes funèbres… Au bout d’un quart d’heure, un brouhaha monte. Pierre-Alain Cardona, de l’association Centre-ville pour tous, prend le relais : « Nous demandons la réquisition des logements vacants, notamment rue de la République où beaucoup appartiennent à des fonds d’investissements ! Nous dénonçons le nouveau plan local d’urbanisme, qui ne donne aucune obligation de taux de HLM par projet ! » « Démission !! », scande la foule.
Jean-Claude Gaudin achève son allocution introductive au débat sur le « drame du 5 novembre ». « Il faut tout faire pour qu’il ne se reproduise pas. Les huit victimes me hantent », scande l’ancien sénateur LR du haut de son perchoir. Mais ni regrets, ni contrition pour ce fervent catholique, qui a passé les quelques 20 minutes de son discours à défendre son action, pointer les manquements de l’Etat et féliciter son équipe, les marins-pompiers et le personnel municipal. Manque juste Gaston Defferre, son mentor…
09:10
Lynda Larbi, de l’association Marseille en colère, démonte point par point l’action de la mairie envers les personnes évacuées : « On demande toujours le droit à un Noël digne pour tous les relogés. Jusqu’à présent tout ce que nous propose la mairie c’est une soirée à Venelles [Ndlr à 50 km de Marseille], pour des personnes qui sont ballottées dans leur quotidien, c’est inadmissible ! Nous exigeons aussi la transparence totale sur le patrimoine des élus, comme ça se fait à l’Assemblée nationale, pour savoir qui loue des taudis ! »
Le communiste Jean-Marc Coppola attaque pour l’opposition, avec colère. L’ancien vice-président de la région gronde contre « une politique d’inégalités et de bradage, qui veut faire partir les habitants de Marseille pour des gens plus sages, les croisiéristes et les star up ! »
09:25
Les manifestants commencent à quitter le parvis de la mairie. « La fondation Abbé Pierre voulait amener son camion pour vous offrir le café, mais ça nous a été refusé, dénonce Fathi Bouaroua. Bientôt il faudra manifester pour pouvoir manifester ! » Derrière lui, des joggers en combis fluo profitent de ce que la circulation est bloquée par la police pour arpenter le quai du port, en petite foulée, dans le soleil du matin.
09:43
Déjà en campagne pour les municipales, le FN Stéphane Ravier conclut une intervention menée à la sulfateuse, contre la droite et la gauche, en s’en prenant au « pur produit de l’idéologie socialiste » : « une politique migratoire qui a contribué au remplacement de la population du centre ville. » Un grand classique.
10:24
Alors que la sénatrice PS Samia Ghali se perd dans son allocution, Dominique Tian déplie Le Canard Enchaîné. Le premier adjoint de Gaudin, condamné pour blanchiment de fraude fiscale à un an de prison avec sursis (il fait appel), qui prendra aussi sa retraite politique en 2020, semble très loin des débats et du drame.
11:03
« Vous avez construit une ville de carte postale qui n’existe pas », accuse Benoît Payan, le jeune patron du groupe PS. Avant d’enchaîner sur les marseillais qui ne trouvent pas mieux que des logements insalubres, « parce que vous n’avez pas voulu faire la ville pour eux, parce qu’ils ne votent pas. » La droite encaisse en silence.
11:22
Au tour du sénateur LR Bruno Gilles, qui devait initialement clôturer le débat. Il est finalement le seul de la majorité à faire une introspection et à exprimer des regrets. « Nous n’avons pas fait assez, pas assez bien, pas assez vite. Nous devons prendre la pleine mesure de cette tragédie. Il doit y avoir un “après” rue d’Aubagne », lance l’ancien maire des « 4/5 ». Précision : comme Ravier, il est en campagne.
11:42
Dernière à parler, Martine Vassal, la présidente LR du département et de la métropole, évacue rapidement la rue d’Aubagne pour se concentrer sur ses cadeaux à Marseille : « C’est la preuve que je fais de la politique pour tous les Marseillais ! » Ce qui reste à prouver (Cf le Ravi n°167), mais elle bat largement Bruno Gilles à l’applaudimètre. Martine Vassal semble chaque jour se rapprocher d’une candidature à la succession de Gaudin.
11:44
Gaudin est soulagé : « Nous arrivons au terme du débat de 3 heures. »
11:59
Si le maire passe à l’ordre du jour, Benoît Payan veut poursuivre la partie. Le chef de file PS demande un vote sur deux propositions approuvées par la droite : installation d’un permis de louer et des réquisitions pour reloger les délogés. Invectives, brouhaha. « Vous n’aviez qu’à déposer des amendements », balaie Gaudin qui enchaîne les sous-chemises bleues des délibérations.
12:21
Les tribunes de presse se sont vidées, comme les rangs de la gauche. Les deux se retrouvent à l’entrée de la salle pour les interviews.
12:59
Visage fermé, Jean-Claude Gaudin multiplie les « faites vite » et « parlez rapidement » à l’attention des élus. L’heure du déjeuner approche.
13:27
C’est l’orage. A la suite de la demande d’Annie Levy-Mozziconacci (PS) qui demande le retrait des délibérations 146 et 147 consacrées au projet de réhabilitation des 17 hectares du parc Chanot pour que les Marseillais y soient associés, Jean-Marc Coppola prévient : « Si vous les maintenez, cela voudra dire que vous avez fait semblant pendant trois heures. » Gaudin balaie, le communiste se met en colère : « Les marseillais jugeront ! » Le maire voit rouge : « Seuls, vous ne seriez jamais élus ! » Dans la bagarre, il retrouve sa sublime : il dirige les débats, gronde, lâche les vacheries, les compliments.
13:43
Dans la roue de la FN Sandrine d’Angio, maire des « 13/14 » et nièce de Ravier, Annie Levy-Mozziconacci revient sur la situation des écoles marseillaise en général et de la grève des cantines en particulier : « On a parlé habitat quand il y a eu des morts. » Fureur de Gaudin : « C’est honteux ce que vous faites ! » Avant de passer la défense à son adjointe, qui se retranche dans son déni habituel.
14:11
Jean-Claude Gaudin lève la séance en rappelant que les « huit morts de la rue d’Aubagne le hanteront toujours ». « Maintenant, j’ai besoin de pisser », conclut de son côté le FN Bernard Marandat.