Le logement tue
« L’habitat indigne tue », peut-on lire dans l’introduction du volet dédié au mal-logement à Marseille. Sept mois après l’effondrement de trois immeubles rue d’Aubagne – 8 morts – la Fondation abbé Pierre (Fap) ne pouvait que mettre l’accent sur les raisons de la catastrophe et les mesures à adopter pour une politique ambitieuse à l’échelle de la métropole. Un « focus » qui s’appuie sur des témoignages de professionnels du logement et des victimes de la crise qui a suivi le 5 novembre 2018. Sans surprise, elle pointe les responsabilités (passées et actuelles) de la mairie notamment sur la prise en charge des délogés. Pour rappel, au 15 mai, la municipalité recensait 2558 personnes évacuées dont 1879 relogées ou réintégrées, 700 personnes à l’hôtel et 310 immeubles toujours évacués.
Selon la fondation (1), « un arsenal d’outils » pour lutter contre l’habitat indigne existe et « la ville » s’en est très peu saisi : « La mauvaise gestion de la lutte contre l’habitat indigne des années précédentes – et, nous pouvons le dire, de toute la politique de l’habitat – a précipité, dès le lendemain du 5 novembre, une réponse publique mal organisée et extrêmement coûteuse pour la collectivité. » Et ce malgré « une remise en question certes tardive mais salutaire ». À Marseille, selon des chiffres de 2011 (les derniers disponibles), 13 % des résidences principales sont « potentiellement indignes », soit 40 000 logements et 100 000 habitants. Et depuis 2011, rien ne s’est arrangé…
Une mairie débordée
En rentrant un peu plus dans les détails, la Fap pointe le manque cruel de logements sociaux sur le territoire métropolitain alors que 48 % des ménages y « seraient éligibles » : 18 %, en deçà des exigences de la loi. À Marseille (qui en compte 20 %), si « des efforts ont été faits », leur répartition est très inégalitaire, avec une présence massive concentrée dans les zones défavorisées de la ville. La mairie serait aussi loin d’être scrupuleuse lors de signalements d’infractions au règlement sanitaire départemental (RSD), fait pour lutter contre la non-décence, avant même l’habitat indigne. « Lorsque les services se saisissent de signalements d’infractions et qu’ils procèdent à des mises en demeure de propriétaires, ils ne s’occupent pas forcément des suites données à leur action », indique le rapport. Et ne vérifient donc pas toujours que des travaux ont été réalisés, témoignage de la Caf à l’appui. En parlant de services, la Fap rappelle que celui des arrêtés de péril est « débordé, incapable de faire face à la crise », comme le Ravi l’écrivait en mai dernier (Cf n°173). Enfin, le rapport soulève la douloureuse question des marchands de sommeil qui disposent d’une certaine impunité grâce à de faibles condamnations pénales.
En miroir de ce rude constat, la fondation propose des mesures à court et moyen terme. D’abord, « assurer un traitement digne des délogés et leur droit au retour » en se basant sur la charte établie par le collectif du 5 novembre. Ce que les élus refusent de faire. Accompagner également d’avantage les propriétaires occupants modestes : le personnel actuel n’est pas formé pour. Afin de « résorber le parc de logements indignes », il faut selon la Fap se doter « d’un réel observatoire de l’habitat indigne », « améliorer la lutte contre la non-décence » et surtout que la métropole « applique plus fermement les outils coercitifs ». Cela passe nécessairement par la délégation complète des compétences de la ville à la métropole, tout spécialement son pouvoir de police ainsi que celui du préfet en matière d’insalubrité. Elle insiste également sur « l’application du Code pénal » pour les marchands de sommeil. Enfin, il est indispensable pour elle de combattre la « cause profonde » du fléau : « la pénurie de logements sociaux qui pousse les plus précaires à se rabattre sur le parc privé dégradé » et qui n’osent jamais dénoncer leur propriétaire. Vaste programme.
Une région mal-logée
Concernant la Paca, comme tous les ans, la Fap produit également une série de statistiques sur le mal logement (2). Une région où l’intensité de la pauvreté est la pire, juste après l’Ile-de-France, les loyers sont très élevés, le pourcentage de résidences secondaires deux fois plus élevé que la moyenne nationale… Les deux départements qui conjuguent le plus de problèmes sont les Bouches-du-Rhône et le Vaucluse. En cause, un terreau de pauvreté important : les taux de chômage, de familles monoparentales, de bénéficiaires des minima sociaux, le pourcentage de ménages sous le seuil de pauvreté (jusqu’à 40 % des locataires marseillais !) y sont les plus élevés dans ces deux départements. Tout comme le pourcentage de logements indignes : environ 8,5 %.
Sur la Côte d’Azur (Var et Alpes-Maritimes), le soleil fait exploser les loyers. Si bien qu’on retrouve dans certaines communes les taux d’efforts les plus élevés du pays (part du revenu consacré aux dépenses de logement) : jusqu’à 30 % dans le parc privé dans le « 06 ». 25 % des logements sont des résidences secondaires et le pourcentage de logements sociaux peine à dépasser les 10 %… Enfin, si la situation est moins tendue dans les deux départements alpins, nombre de leurs habitants sont confrontés à une grande précarité énergétique : 20 % dans les Alpes-de-Haute-Provence et 32 % dans les Hautes-Alpes ! Glagla.
1. La Fondation abbé Pierre soutient des actions de la Tchatche, l’association qui édite le Ravi, dans le cadre de sa politique de promotion des habitants.
2. Statistiques établies à partir de plusieurs sources sur les dernières données disponibles (de 2013 à 2018).