Les paradoxes aixois du logement

Championne du prix faramineux au m², Aix semble bien loin des problématiques de mal-logement. La ville compte pourtant son lot d’habitat insalubre, 5,1 % du parc privé en 2013 d’après l’Observatoire de l’Habitat. Au lendemain des effondrements de la rue d’Aubagne à Marseille, Maryse Joissains, la maire LR, se félicitait même sur le site de sa ville : « la mairie s’attache à la résorption de l’habitat dégradé depuis 1992. 5000 logements ont été rénovés en centre ville. » Depuis, la page a mystérieusement disparu dans les limbes du web.

Car le 25 janvier 2019, quatre immeubles du cours Sextius, dans le centre ancien d’Aix-en-Provence, sont évacués dans l’urgence et placés en état de péril imminent, plusieurs dizaines d’habitants sont délogés. Dix mois après, l’affaire traîne, entre des locataires toujours en appart-hôtel, un propriétaire incapable d’assumer les frais de rénovation et les travaux les plus lourds qui peinent à démarrer…

Sur place, des barrières condamnent toujours la rue et les ouvriers s’affairent. Des travaux de confortement ont fini par débuter, sous le regard mi-furieux, mi-dépité des propriétaires, dont certains sont occupants, et tenus d’assumer l’entièreté de la rénovation. « On espère pouvoir revenir chez nous pour le mois de décembre », confie l’un d’entre eux. À leurs yeux, le problème aurait pu être réglé bien avant : la mairie avait été informée à plusieurs reprises, dès 2013, de l’état vétuste des lieux…

Chez Devenir, collectif d’architectes militant pour un urbanisme responsable et intelligent, on parle d’abord d’abandon. « Ces logements sont des actifs pour les propriétaires, nombreux à ne pas vouloir louer », explique Pascal Clément, vice-président de l’association. Beaucoup préfèrent en effet ne pas prendre de risque avec des locataires qu’ils estiment trop peu fiables. Peu investissent pour entretenir ces lieux vides, qui de toute façon gardent une valeur à la vente. « Ce qui nous mène à un paradoxe dans la ville, pointe le responsable de Devenir. D’un côté, de nombreux logements vides. Mais aussi une pénurie de logements. »

L’Insee estime à 7500 le nombre de logements vacants à Aix, soit près de 10 % des habitations de la ville, dont 80 % seraient situées dans le centre. Un abandon qui entraîne une paupérisation due au manque de restauration. « Le bâti est livré à lui-même. Et surtout aux logiques du marché », conclut Pascal Clément. Néanmoins, plus de 3000 logements sont considérés comme potentiellement insalubres par l’Observatoire de l’Habitat. Étendu au Pays d’Aix, ce sont 6500 logements insalubres. Il suffit d’aller du côté d’Encagnane, à la Résidence des Facultés, pour comprendre que le logement indigne est aussi un mal aixois.

Construits dans les années 60, ces immeubles classés Zone urbaine prioritaire n’ont de prioritaires que l’appellation, au vu de l’état délabré dans lequel sont laissés les bâtiments depuis plusieurs années. Autour de la cour, dont la dalle risque de s’effondrer, des appartements abandonnés sont transformés en pigeonniers, un autre dégouline de larges traces noires, stigmates d’un récent incendie, faute de colonnes sèches fonctionnelles. En mairie, le service de presse estime pourtant qu’ « on ne peut pas parler de logement insalubre ».

La résidence, qui était majoritairement partagée entre plusieurs petits propriétaires privés, a été en partie rachetée par la ville par l’intermédiaire de la Sacogiva, avant d’être récemment cédée à la Caisse des dépôts via sa filiale CDC Habitat. « Un dossier tellement lourd et vaseux qu’il aurait pu mettre en danger la santé financière de la Sacogiva », chuchote-t-on dans les rangs de l’opposition.

Sans nouvelles, les habitants précaires et vulnérables pour la plupart, sont toujours dans l’attente de travaux, un plan de sauvegarde ayant été initialement voté en 2015. Dans le Projet de renouvellement urbain (PRU), quelques lignes font tiquer Sabine Santa Loys, habitante à l’origine de l’association Ensemble pour les Facultés. Le PRU précise que la résidence a « besoin de nouveaux produits immobiliers pour attirer de nouvelles populations en « tirant vers le haut » le profil des résidents ». « J’ai la sensation qu’on est là pour combler un vide. On nous laisse dans cet environnement misérable. Mais les travaux envisagés, ce n’est pas pour nous… » commente Sabine.

Aix-en-Provence est pointée du doigt par la Fondation abbé Pierre dans son rapport annuel sur l’habitat, comme l’une des trois villes françaises de plus de 100 000 habitants à ne pas respecter ses quotas de logements sociaux. 11 000 demandes ont été déposées dans le Pays d’Aix pour l’année 2015. Or cette même année, seuls 329 logements sociaux familiaux ont été mis en service !