« La colère populaire est plus que légitime ! »
le Ravi : comment 8 morts rue d’Aubagne sont-ils possibles à Marseille alors que les alertes étaient anciennes et répétées ?
Fathi Bouaroua : L’arsenal juridique et les polices du maire n’ont jamais fonctionné. Nous nous demandons s’il ne s’agit pas d’une volonté délibérée de laisser pourrir la situation dans une logique de reconquête du centre ville. Pourtant, il suffisait de lever le nez, il n’y a pas besoin de diagnostic très lourd !
Florent Houdmon : Ce n’est en aucun cas une surprise, il suffit de constater l’état lamentable du parc. Il y a en France quatre millions de mal logés mais cela prend des proportions inédites à Marseille : il y a ici une défaillance flagrante dans la stratégie de production de logement social !
Samia Chabani : Un vrai manque d’anticipation est à déplorer au regard de l’état d’urgence à Marseille. Il faut aujourd’hui alerter sur la situation d’indigence de la ville, et non plus parler d’indécence. Nous avons par exemple trop longtemps considéré, à tort, après les migrations de travail des années 1960-1970, que des populations étaient en transit et donc qu’elles allaient repartir. Mais cela n’a pas été le cas…
En quoi la question du logement social est-elle centrale ?
Carole Lenoble : Il y a un mépris total pour les personnes pauvres qui vivent au centre ville et particulièrement à Noailles, où 80 % des habitants sont éligibles au logement très social. Pourtant, dans ce quartier (où se trouve la rue d’Aubagne, NDLR), le nombre de logements sociaux disponibles était seulement de 5 % en 2010. Et il ne s’élève aujourd’hui qu’à 4 %… Les chiffres montrent bien la volonté de chasser les populations très modestes du centre ville.
Qui est responsable du drame de la rue d’Aubagne ?
F. B. : Il est clair que la responsabilité directe est celle du maire puisqu’il a été informé de la situation, n’a pas réagi, et que des morts sont à déplorer. Mais le sens même des politiques d’Etat pose problème : il n’y a plus de logements sociaux alors qu’il en faudrait à prix décents. Une responsabilité pénale pourrait aussi s’avérer lourde compte tenu de l’information préalable réalisée par des techniciens, communiquée aux pouvoirs publics, qui n’ont pas réagi. La responsabilité de la santé publique relève du ministère de la Santé et de l’Etat, or les services d’hygiène sont aujourd’hui délégués de l’Etat vers les villes. Le Conseil départemental est également responsable puisqu’il est tenu d’accompagner les plus démunis sur la question du logement…
S. C. : Évidemment, les responsabilités sont partagées, mais une lecture plus cynique de la situation est à prendre en compte. Certains quartiers sont considérés comme des no man’s land en terme d’électorat, et donc comme des quartiers à perte : c’est un scandale ! Tout le monde est responsable à tous les échelons, et je crains que ce manque d’anticipation ne traduise une lecture très clientélaire des populations électorales.
La prise en charge de l’urgence par la municipalité est-elle à la hauteur ?
C. L. : Il a fallu attendre le 19 novembre pour que s’ouvre enfin un guichet unique, afin de faciliter les démarches, pourtant demandé dans un communiqué de presse par cinq associations dès le 9 novembre… Les propositions de relogement – temporaires – sont encore largement insatisfaisantes : certaines personnes sont toujours logées à l’hôtel, sans vision à long terme. Il y a encore une réelle défaillance sur l’aide et l’accompagnement juridique, très peu de soutien psychologique pour les évacués ou les habitants du quartier…
Mobilise-t-on suffisamment de moyens ?
C. L. : Aujourd’hui, 3 millions du budget municipal est consacré à la résorption de l’habitat indigne, à comparer aux 20 millions d’euros pour la rénovation de la place de la Plaine ou encore aux 56 millions d’euros pour la réalisation du Palais de la Glace… Cette politique s’inscrit dans une réelle volonté de réalisation de projets vitrines, censés attirer les investisseurs ou les classes aisées dans le centre ville pour repousser les habitants modestes en périphérie.
Allez-vous relayer ces enjeux dans le conseil présidentiel des villes, réuni par Emmanuel Macron pour s’informer sur les quartiers populaires ?
S. C. : Il s’agit d’un organe consultatif marquant la volonté du gouvernement de recevoir des retours de terrain directs, qui ne sont pas filtrés. Mais aujourd’hui, la question du logement ne fait pas partie de problématiques traitées dans le conseil présidentiel des villes… Il est clair que cet organe n’a pas encore trouvé son identité, ni même sa légitimité.
Parmi les propriétaires de logements indignes figurent des notables locaux – dont deux élus LR à la région et à la Métropole contraints à démissionner. Quelles sont leurs motivations ?
F. B. : L’appât du gain est malheureusement la première motivation et finalement, loger les plus pauvres dans les pires conditions est ce qui rapporte le plus. Les personnes les plus modestes ne pouvant pas se reloger font l’objet d’une exploitation insupportable et sont les premiers à payer le prix fort…
C. L. : Louer un logement à une personne modeste qui connaît mal ses droits est rentable, surtout quand la mairie n’est pas très pressante pour les travaux de réhabilitation. La spéculation est rentable elle aussi ! Noailles est actuellement l’un des quartiers où s’exerce le plus de pression foncière : pour preuve l’Hôtel des Feuillants, acquis par la ville de Marseille grâce à une déclaration d’utilité publique pour en faire un hôtel quatre étoiles qui sera inauguré à 300 mètres des immeubles effondrés… L’opportunisme immobilier est également à craindre : quand on laisse les immeubles se dégrader jusqu’à ce qu’ils ne valent plus rien, les promoteurs ont ensuite le champ libre pour racheter à bas coûts.
Comment faire obstacle aux marchands de sommeil ?
F. H. : Il faut voir à quels prix s’achètent des logements dans les copropriétés ou les immeubles les plus dégradés du centre ville et les revenus locatifs qui en sont tirés ! Ceci est possible au moins grâce à la complicité passive des pouvoirs publics, la colère populaire est dès lors plus que légitime. Entre autres, le permis de louer est un moyen qui procède à un contrôle avant d’octroyer l’autorisation de location : cet outil paraît indispensable au vu du contexte marseillais !
F. B. : Les travaux d’office existent également, et permettent d’entamer une procédure de réhabilitation à la place des propriétaires, qu’ils financent ensuite. La ville de Marseille pouvait utiliser ces dispositions mais ne l’a pas fait. Tout ce qui peut porter atteinte à la santé ou à la sécurité des personnes doit faire l’objet d’un contrôle obligatoire et d’une garantie par l’Etat : il faut mettre en place ce contrôle technique des logements, dans le cadre de la solidarité nationale.
Il y aurait 67 000 logements vides à Marseille. Ne faudrait-il pas les réquisitionner ?
F. B. : Ce chiffre est issu d’un calcul fiscal auquel nous ne pouvons pas réellement nous fier. Mais oui, la logique serait évidemment de récupérer le plus de logements vacants !
F.H : L’arsenal existe pour lutter contre le logement indigne mais n’est pas utilisé. Les solutions sont simples : il faut mobiliser l’établissement public foncier et mettre en place une vraie politique de production de logements sociaux. Nous avons besoin que tous les pouvoirs publics se réunissent afin de travailler ensemble. Le jeu de ping-pong, avec la balle sans cesse renvoyée d’un côté à l’autre, doit prendre fin !
Propos recueillis par Michel Gairaud et mis en forme par Laura Alliche