La ville toujours à la rue !
La mairie de Marseille semble encore incapable de faire face à la crise qui a suivi l’effondrement, il y a six mois, des immeubles de la rue d’Aubagne.
Six mois après le drame de la rue d’Aubagne, le quartier est encore bouclé. Un nouveau sinistre ? Non, la visite du 1er ministre. Qui, ce 12 avril, causera finalement logement dans les quartiers nord et porte d’Aix tout en évitant Noailles. Son collègue en charge du logement, Julien Denormandie, de passage à la cellule d’accueil des évacués rue Beauvau, lui, ne pourra faire l’impasse.
« C’est bien beau les caméras mais on veut du concret », l’interpelle un délogé. Hubert Valade, le président de France Horizon qui gère le centre de la rue Beauvau, rase les murs. Un spécialiste pourtant de « l’accueil d’urgence » (des « rapatriés » à « l’ouragan Irma ») ayant bossé pour Gaudin quand il fut ministre de la Ville. Mais interrogé, il botte en touche : « Je peux parler de tout sauf de Marseille ! » Colère des manifestant : « Mairie indigne, État complice ! » Xavier Méry, adjoint au social, ironise : « J’ai l’air indigne ? »
Galère des évacués
Pas de quoi dérider le ministre. Quand un officiel dit qu’« un vrai boulot est fait », il recadre : « A voir la détresse, ce n’est pas ressenti comme ça. » Et, fier d’avoir trouvé « 80 logements rue de la République » et « 18 » à la caserne du Muy tout en se refusant à la moindre « réquisition », de rappeler que c’est sa « 6ème visite » dans une ville où 300 immeubles ont été évacués et plus d’un millier de personnes sont toujours en attente d’être relogées.
Trois jeunes femmes tombent en pleurs dans ses bras : « On vous propose des logements trop chers ou là où personne ne veut aller ? Tenez-bon ! C’est pour ça que je suis là ! » Une scène qui dit la galère des évacués. Surtout après que le maire, Jean-Claude Gaudin, qui veut « sortir de la rue d’Aubagne », ait confirmé la fin des repas gratuits pour les délogés. Et des hôtels, au profit des touristes.
Colère de Maël Camberlein, du collectif du 5 novembre : « Ils ont réussi à dégoûter tout le monde ! Certains ne vont même plus rue Beauvau. Et on voit encore des évacués qui doivent payer EDF ou internet ! Sans parler de la pression pour le relogement avec des visites qui se font à trois ou quatre et où, au bout de plusieurs refus, on vous dégage. Pas étonnant que les gens tombent dans les bras du ministre. »
En interne aussi, la ville est à la rue. Notamment au service de la prévention et de la gestion des risques, en charge des arrêtés de péril, où les responsables se sont fait porter pâle. Certes, la charge de travail de ce service qui traitait environ « 250 signalements par an » a été décuplée. Le docteur Padovani, élu à la santé, rassure : « Du burn-out. Classique quand la pression se relâche. »
Crise permanente
Soupir d’un agent : « Il y avait déjà un problème de sous-effectif avant et la pression n’est pas retombée. » Et cela, malgré les renforts des autres services, pas toujours simples à gérer. Ce que confirme un collègue : « Quand on arrive, on ne sait ni ce qui a été fait ni ce qu’il y a à faire. Il y a un vrai problème de suivi, de transmission et de compétence. » Ainsi que de « responsabilités ». « Les procédures ont beau être encadrées, avec intervention d’hommes de l’art, personne n’a le temps de vérifier la qualité des travaux ». Ni même, apparemment, de traiter tous les arrêtés de péril simples !
Alors, en attendant le rapprochement entre les services municipaux et métropolitains, la ville a fait appel, pour superviser, à un marin pompier, l’amiral Philippe Vernerey. De quoi laisser circonspect, même si, à la FSU, on dit que « suite à l’audit mené, les choses rentrent dans l’ordre ». Comme Jean-Pierre Chanal, le directeur général des services adjoint : « Il y a eu un tel investissement que certains sont fatigués. Et pas que les cadres. On est en train de les remplacer. On vit une situation complexe, avec des enjeux durables. On s’adapte et on sollicite les avis et expertises, y compris des marins pompiers. Je trouve ça banal. Si nous ne le faisions pas, vous nous le reprocheriez. »
Les élus ne se bousculent pas pour répondre. Silence de l’adjoint en charge de la gestion des risques, Julien Ruas ! Alors que sa collègue au logement, Arlette Fructus, presse le pas lorsqu’on l’interroge, nous renvoie vers… Julien Ruas. Patrick Padovani confie toutefois qu’il n’est « pas facile de recruter du personnel compétent ». Et même que « reloger des gens dans des logements insalubres », ça arrive…
Interpellé, le ministre a proposé à la mairie et à la métropole l’aide, via « l’Agence nationale de l’habitat » (Anah), des « bons » experts. Pour l’heure, note la CFTC, « rien n’a bougé ». Mais, si ce n’est pas officiellement une mise sous tutelle, ça y ressemble. Grimace d’un fonctionnaire : « Arrêtons avec la fierté mal placée et les querelles politiciennes. Marseille ne peut s’en sortir seule. Il y a eu 8 morts. En faut-il d’autres ? »
Florent Houdmon, de la fondation abbé Pierre, n’est pas tendre : « Martine Vassal a beau avoir organisée des assises de l’habitat, il n’y a pas eu de débat. Et on attend toujours les renforts annoncés ainsi que la direction unique. Les réintégrations se font donc dans des conditions inacceptables, les arrêtés de péril arrivent à échéance sans que les travaux ne soient faits et des signalements ne sont pas vérifiés ! »
Alors qu’une « charte » pour le relogement est sur la table depuis des semaines, la ville vient juste de sortir la sienne. N’est-on pas en gestion « post-crise » ? Ou en « crise permanente » ? Surprise à l’école du cours Julien, celle qui, en surplomb de la rue d’Aubagne, avait fait l’objet de plusieurs diagnostics. Durant les vacances, il y a eu de gros travaux dans la cour. De quoi raviver les craintes, certains parlant d’« affaissement ». A la mairie, on rassure : « On a constaté que des canalisations étaient défectueuses, avec ruissellement d’eau sur le mur de soutènement. On a profité des vacances pour intervenir. » Mais l’omerta n’aide pas. Et les parents d’élèves d’être invités à une réunion début mai : « Logement : comment améliorer notre situation ? » Un vrai chantier !