L'habitat indigne qui ?
Le 24 janvier, quatre immeubles du cours Sextius à Aix-en-Provence (13), frappés d’un arrêté de péril municipal, sont évacués car un des bâtiments menacerait de s’effondrer entraînant les autres dans sa chute… Depuis l’effondrement des 63 et 65 rue d’Aubagne à Marseille, le 5 novembre, ayant causé la mort de huit personnes, le traumatisme est encore bien présent, dans l’esprit des populations mais aussi dans les collectivités. « On nous a demandé d’exhumer les vieux dossiers pour voir si nous ne sommes pas passés à côté de quelque chose et de faire du repérage d’adresses ou d’immeubles », explique un responsable associatif des Alpes-Maritimes intervenant dans le champ de la maîtrise d’œuvre urbaine et sociale.
Selon la Fondation Abbé Pierre (Fap), en France, plus de deux millions de personnes vivent dans des logements privés de confort : manque de sanitaires de base, de chauffage, dégradations, moisissures et fissures dans les murs, avec des risques potentiels sur leur santé et leur sécurité. Dans le dossier Loi Alur de juin 2014, le ministère du Logement estime le PPPI (Parc privé potentiellement indigne) à 420 000 logements, un chiffre sous-jaugé selon la Fap qui le chiffre à 600 000.
Le « 84 » et le « 13 » en tête
En Paca, le département le plus touché est sans surprise le plus pauvre : le Vaucluse. Où 8,4 % du parc privé est concerné, soit 18 000 logements. Il représente avec les Bouches-du-Rhône (8,7 %), un des taux les plus élevés de la région (6,6 %). Dans son rapport d’avril 2018, l’Aurav (Agence urbanisme Rhône Avignon Vaucluse) indique que dans les pôles urbains comme Avignon, Carpentras ou Orange, l’habitat indigne est lié au maintien d’une population précarisée dans des logements dégradés et sur-occupés mais aussi à un parc de logements collectifs en centre ancien peu entretenu. L’habitat indigne concerne aussi les propriétaires pauvres en incapacité de faire des travaux, notamment en maison individuelle dans le périurbain. Le risque de saturnisme infantile concerne, quant à lui, 2000 logements vauclusiens construits avant 1949. Cette maladie dont les troubles sont irréversibles fait l’objet d’une surveillance accrue en Paca.
À Orange, 810 logements sont touchés, des logements de qualité « ordinaire » occupés par des ménages dont le revenu fiscal est inférieur à 70 % du seuil de pauvreté, soit moins de 500 euros par mois. Christine Badinier, élue d’opposition « Orange autrement », indique que la ville d’extrême-droite préempterait des bâtiments du centre pour ne pas y voir s’installer « une certaine population ». Du bâti très dégradé mais vide. « Par contre aucun argent n’est mis dans les quartiers, souligne Christine Badinier pour laquelle l’habitat indigne s’y situe pourtant. A la cité de l’Aygues, une centaine d’appartements est murée depuis plus de quinze ans. »
Depuis la mise en place de la plateforme téléphonique unique, et de l’Orthi, outil de repérage et de traitement de l’habitat indigne en 2013, les associations n’ont plu de droit de regard. « Ce qui pose un vrai problème de vérification du suivi des dossiers », souligne Jean-Paul Jambon délégué de la Fap du Var. Dans ce département, le pourcentage du PPPI est estimé à 5,1 %, atteignant les 9 % dans les Gorges du Verdon. Sur 220 signalements reçus en 2018 pour le Var (chiffres provisoires), 192 ont été traités et seulement 4 % concerneraient de l’habitat indigne. Sur le département, 17 arrêtés de péril ont été pris en 2017 et 32 en 2018.
« A Toulon, il reste encore 30 % de rénovation urbaine à faire. Ça prend du temps, mais on peut dire que ça avance », explique Jean-Paul Jambon. Les zones rurales l’inquiètent plus : « Si à TPM il existe une enveloppe budgétaire pour les travaux d’urgence, les petites communes avec du vieux bâti n’arrivent pas à faire face. Les maires ont besoin du soutien de l’Etat. »
Volonté politique
En décembre dernier, à Draguignan (83), un marchand de sommeil – possédant 29 SCI – a été condamné à 100 000 euros d’amende et à la confiscation d’un de ses immeubles [Il a fait appel. Ndlr]. Le maire sans étiquette, Richard Strambio, souhaite la création d’une commission regroupant les acteurs du secteur afin d’être plus réactif. Fabien Matras, député LREM de la circonscription, a interpellé le ministre en séance le 9 octobre en ce sens. « A Draguignan il y a une volonté politique autour de cette problématique et une justice à l’écoute », note le député. Dès ce mois de février, La Seyne-sur-Mer et Cuers expérimentent le « permis de louer » instauré par la loi Alur.
Dans les Alpes-Maritimes, en 2018, 571 signalements ont été faits, deux fois plus qu’en 2016. Jérôme Raibaud, responsable du service santé et environnement à l’Agence régionale de la santé, insiste : « Même si le dispositif fonctionne bien, il ne sert à rien sans signalements. » Par méconnaissance de leurs droits et par peur d’être à la rue, les locataires préfèrent souvent se taire. L’ARS a pour projet de sensibiliser des professionnels de santé « car ils sont les derniers à pénétrer encore chez les gens. Ils ont leur confiance et savent trouver les mots. Ils peuvent être un relais efficace en ce sens ».
« Il y a un gros travail de fait de réhabilitation et de création de logements. Je reconnais que, là, Estrosi fait le job », ironise Marc Concas, élu d’opposition (Radical de gauche) à Nice. Dominique Estrosi-Sassone, sénatrice LR des Alpes-Maritimes, a été nommée rapporteur au Sénat de la proposition de loi de lutte contre l’habitat insalubre ou dangereux, déposée par le sénateur des Bouches-du-Rhône, Bruno Gilles. Elle sera examinée en séance le 5 mars prochain. L’élu, maire de secteur pendant 22 ans, est candidat aux municipales en 2020 (Cf page 13). Mieux vaut (trop) tard que jamais…