Dans le même Panier que Noailles
A l’angle de la montée des Accoules et de la rue Baussenque, un groupe de jeunes Espagnols prend la pose devant une façade colorée. Ils ne se sont aperçus de rien. L’accès à l’immeuble est interdit, la porte est barrée d’une chaîne. Au Panier, comme partout dans Marseille depuis que les 63 et 65 rue d’Aubagne se sont effondrés sur la vie de 8 habitants le 5 novembre, de nombreux édifices ont été évacués dans la précipitation, par crainte d’une nouvelle catastrophe.
Dans ce quartier carte postale, l’étendue du sinistre obligera-t-il les guides touristiques à revoir leur tour comme leurs homologues parisiens privés de Notre-Dame ? Les rues sont de plus en plus nombreuses à se barrer sous la menace de l’effondrement. C’est particulièrement visible au sommet de la montée des Accoules, celle dont le clocher attenant attire les fans de Plus Belle La Vie. Des numéros 26 à 30, juste en face de l’école, la voie est condamnée et des ouvriers s’affairent à des travaux d’urgence.
70 personnes évacuées
Parmi les bâtiments concernés, deux, à l’état de ruine, appartiennent à la ville depuis 2005. Voilà qui rappelle la rue d’Aubagne, où le numéro 63, désaffecté depuis longtemps, était la propriété de Marseille Habitat…
Sur le haut du Panier, au milieu des ruelles étroites, le bloc menace d’entraîner dans sa chute d’autres constructions. Les 23 et 26 mars, les services de la mairie sont venus faire évacuer les riverains. « Il était 16h45 le 26 mars, heureusement un ami est venu toquer à mon bureau. J’ai eu 5 minutes pour prendre des affaires avant qu’ils ne mettent le cadenas sur la porte de l’immeuble », raconte, la gorge serrée, Marie-Eugénie Godgenger. Maigre chance dans son malheur, elle est salariée au centre social Baussenque à deux pas de la rue Puits Baussenque où se situe son appartement. Sinon elle aurait eu la mauvaise surprise de trouver porte close en revenant du travail comme cela est arrivé à d’autres.
Marie-Eugénie et sa fille de 14 ans sont pour l’heure hébergées dans un hôtel à la Timone. « Au moins 70 personnes ont été évacuées dans le quartier », évalue Virginia Gasperi, la directrice du centre social Baussenque. Avec d’autres personnes, elles ont initié le collectif des habitants et acteurs du Panier. Dans une lettre ouverte au président de la République, datée du 12 avril, il dénonce des évacuations à la va-vite, sans remise d’un document d’arrêté de péril qui permet au personnes concernées de faire valoir leurs droits, pour être aidées et avoir accès à un relogement.
Le jour de son évacuation, Marie-Eugénie, avec insistance, n’a pu obtenir qu’un bout de papier griffonné de quelques adresses mail pour demander où s’orienter. Même avec l’arrêté de péril, les délogés ne sont pas à l’abri d’un marathon administratif entre l’accueil de la rue Beauvau et les différents services sociaux. « Aucun interlocuteur n’a été identifié, la plupart du temps, [les personnes] obtiennent des informations par les réceptionnistes des hôtels où elles sont hébergées », écrit le collectif dans sa lettre à Macron.
Des rats alpinistes
Virginia Gasperi s’inquiète de la protection des logements évacués. « Certains sont squattés ou cambriolés. Les personnes sont expulsées et en plus on ne protège pas leurs biens », s’étrangle-t-elle. Puis, elle nous montre des fenêtres laissées ouvertes dans la précipitation. « S’il y a un orage, les appartements seront inondés et les rats, qui sont de vrais alpinistes, s’y installent », s’alarme-t-elle.
Aucun responsable de la mairie centrale de Marseille n’a daigné répondre au Ravi. Il n’y a guère que Lisette Narducci, la maire de secteur (PRG), qui se montre disponible au téléphone. Celle qui avait renouvelé son titre dans une entente d’entre deux tours avec Gaudin (LR), vient de rompre son « accord technique » avec la majorité. « Parce que sur un certain nombre de dossiers le compte n’y est pas », clame-t-elle.
Pour l’élue, le moment de l’après 5 novembre est « assez dramatique ». Mais elle se refuse à « toute polémique » sur les responsabilités ayant amené à cette situation. La déjà candidate à sa propre succession préfère se présenter comme une facilitatrice, qui arrange les démarches « des familles qui viennent en mairie de secteur, excédées ».
« 30 logements ont été évacués sur le deuxième arrondissement », nous précise-t-elle. Un comptage qui a déjà « 15 jours », fin avril, au moment où nous rédigeons ces lignes, et que par conséquent l’élue nous invite à prendre avec des pincettes. C’est que, 6 mois après les effondrements de la rue d’Aubagne, les évacuations sont toujours d’une actualité quotidienne. 2523 Marseillais, selon la mairie (pointage du 18 avril), se sont fait évacuer, 3000 selon les collectifs. 700 dorment encore dans des hôtels quand d’autres ont accès à un logement provisoire.
« Cela ne peut plus durer ! Même les spécialistes de la santé dénoncent à ce jour l’apparition de pathologies graves chez ces familles, liées aux traumatismes engendrés par ces évacuations. Il s’agit d’une réelle crise humanitaire qui s’installe dans la ville de Marseille », alerte encore la lettre au locataire de l’Élysée. Elle est à ce jour sans réponse.