Un agent de la Ville investit dans des copropriétés dégradées
Longtemps critiqué pour le manque de compétence de ses agents dans le traitement de l’habitat indigne, la ville de Marseille a au moins un spécialiste dans ses rangs. Recruté il y a un peu plus d’un an au service des travaux de la direction de protection et de la gestion des risques (DPGR), Christophe U. est non seulement ingénieur de formation mais a aussi investi dans trois logements situés dans des copropriétés douteuses.
L’une est le tristement célèbre Parc Corot, un ensemble de 376 appartements répartis sur 7 bâtiments et 5 hectares dans le 13e arrondissement, voué à une réhabilitation profonde dans le cadre d’un plan national de sauvegarde des copropriétés dégradées. C’est aussi un des symboles de l’habitat indigne à Marseille. Le quadra a investi, avec une connaissance, il y a une douzaine d’années dans un T3 du bâtiment C via une SCI. En novembre dernier, le tribunal de Marseille a prononcé l’état de carence de syndic de copropriété, incapable d’assurer les travaux de sécurisation d’un demi million d’euros, ouvrant la voie à l’expropriation des propriétaires et la démolition de la tour de 16 étages. « Le problème de sécurité est primordial dans le bâtiment » et « l’ensemble de l’immeuble est vétuste », s’alarme le jugement révélé par La Marseillaise (27/11/2021). Ce dernier s’appuie sur un rapport d’expertise de 2020, qui note lui « des désordres nombreux et particulièrement graves » dans les parties communes comme dans les appartements.
« Jeunesse » insouciante
Pas de quoi perturber Christophe U. « C’est un investissement de jeunesse. Quand on a acheté, Corot n’était pas en déshérence, il n’y avait pas de délinquance, rien n’était détruit, on avait gardé la locataire, changé le chauffe-eau, fait des petits travaux avec une association de quartier. On pensait qu’il y aurait une intervention publique, mais aujourd’hui c’est inqualifiable », explique le quadra. Un discours assez proche d’autres propriétaires sur les violences et trafics en tous genres dans la cité, le squat des logements. Et surtout leur abandon par les pouvoirs publics.
« Quand on achète en 2010 à Corot, c’est déjà de la m… », peste un bon connaisseur de la cité et du dossier. « A cette époque, il n’y a pas encore d’administrateur judiciaire mais ça n’est certainement pas extra, assure de son côté Aurélien Souchet, de la CDC Habitat, concessionnaire du projet d’aménagement pour le compte de la métropole. La première démolition au Parc Corot pour habitat insalubre a eu lieu en 1992, ça ne s’est donc pas dégradé en 10 ans. »
Pour preuve, Christophe U. reconnaît que le T3 n’a pas été loué plus de quelques années (650 euros par mois) et assure qu’il lui aurait finalement coûté 40 000 euros, arriérés de charges de 12 000 euros compris. Un bien dont il a cependant tu l’existence à sa hiérarchie à la ville, malgré une compatibilité difficile avec ses nouvelles fonctions. « Je m’en suis débarrassé en arrivant à la DPGR », jure l’ingénieur. Qui a quand même attendu le jugement de novembre dernier pour s’en occuper, un an après son embauche et une fois que l’expropriation a été actée. Si la ville botte en touche, en off on s’alarme : « C’est quand même un peu gênant… On ne regarde pas le patrimoine des agents, mais il aurait pu le signaler. »
Tout aussi « gênant », à un kilomètre du parc Corot le quadra est aussi propriétaire depuis 2013 et 2016, en son nom propre cette fois, de deux studios de 18 m² dans Campus 2, une résidence étudiante transformée depuis longtemps en parc social de fait. Là encore, au moment de son achat la copropriété est en déshérence. « Les charges étaient énormes, mais les travaux n’étaient pas réalisés, le portail était cassé, des familles vivaient parfois dans les studios, beaucoup étaient squattés et il y avait même un marchand de sommeil », se souvient une propriétaire qui a également acheté en 2016.
Innocent aux mains pleines
Signe de l’état de la résidence : en 2013, Christophe U. achète un appartement pour 24 000 euros, la moitié du prix payé par le vendeur quatre ans plus tôt. A 380 euros de loyer par mois et par studio, l’investissement est cette fois depuis longtemps rentabilisé. D’autant que le risque est minime : comme souvent, la part principale du loyer est réglée directement par la CAF. « Les petites surfaces sont plus rentables », explique Christophe U.
Si l’arrivée d’un nouveau syndic et la volonté de certains propriétaires ont permis d’apurer les comptes et de remettre sur les rails la copropriété, l’ingénieur n’a lui jamais vu de problème dans la résidence. Il s’en félicite même : « Quand j’ai acheté, ils étaient en train de murer le parking parce que les box étaient loués, mais c’est vraiment tranquille. » Il change un canapé ou un chauffe-eau à l’occasion et règle les factures que lui envoient ses locataires s’ils rafraîchissent leur logement.
« Il n’imagine pas que ça peut poser problème. C’est un petit profiteur, comme Arlette Fructus », commente notre grincheux. Il y a tout juste deux ans, Marsactu (14/02/2020) avait révélé que le mari de l’adjointe de Jean-Claude Gaudin au logement et vice-présidente à la métropole, notamment en charge de la lutte contre l’habitat indigne, était propriétaire de trois chambres de bonne dans une petit copropriété du très chic quartier Perrier (8e arrondissement). Des « logements impropres à l’habitation » en raison de leur surface habitable, selon le service hygiène de la ville. A l’époque l’élue n’y voyait aucun problème, expliquant la larme à l’œil : « Il y a des gens qui n’ont pas d’autres choix que de louer des chambrettes. »