Les Roms de Cazemajou voudraient arrêter de voyager

Sans les enfants de retour de l’école et la déambulation des coqs et des poules entre les véhicules, en ce milieu d’après-midi d’octobre, l’entrée du bidonville de « Cazemajou 1 » pourrait facilement se confondre avec celle de l’entrepôt qu’il a été. Tout est parfaitement ordonné dans ce camp de Roms : les morceaux de métaux et de bois sont méticuleusement stockés derrière les portes du lourd portail en fer, les fourgonnettes et les voitures alignées.
Ouvert il y a tout juste quatre ans, Cazemajou est l’un des plus importants bidonvilles de Marseille. Installé près du métro Bougainville, à équidistance du très populaire quartier d’Arenc (15e arrondissement) et de celui d’affaires de la Joliette (2e arrondissement), en plein milieu du projet de renouvellement urbain Euroméditerranée II, il compte quatre squats. Mais ce camp qui a abrité jusqu’à cet été une centaine de familles – soit environ 400 personnes, principalement originaires de Timisoara dans l’ouest de la Roumanie, à la frontière avec la Serbie – doit être expulsé pour permettre le lancement des travaux de prolongement de la ligne 2 du tramway, début 2022.
À la rentrée, la sortie dans la presse d’une possibilité du relogement des habitants sur un terrain SNCF à l’abandon de la cité Font Vert, dans le 14e arrondissement, a fait fuir de nombreuses familles. Dans l’ancien entrepôt, il n’en reste plus que seize, dont les enfants sont scolarisés sur le secteur. « Les habitants n’avaient pas confiance dans les pouvoirs publics », explique Caroline Godard de l’association Rencontres tziganes. Tout en se rassurant : « Ils y ont leurs repères, ils ont réinscrit les enfants à l’école… »
Fond Vert et bonnes nouvelles
Attablée sous un parasol sur le quai de déchargement de l’ancien entrepôt où se sont installées deux familles dans des baraques de fortune, mais aménagées et entretenues avec soin, comme le reste des logements, la militante assure que la mairie « souhaite reloger tout le monde » (voir encadré). Iustin, son hôte, acquiesce. « La préfecture nous a rassurés sur Font Vert et avec la mairie, ils nous ont assuré que l’on pourrait rester ici jusqu’à la fin de l’année scolaire si aucune solution de relogement n’était trouvée », explique dans un français encore hésitant le ferrailleur de 38 ans, pendant que sa femme Robica s’occupe des lessives. Elle fait des ménages cité Kallisté, une copropriété, à l’abandon et squattée, des quartiers nord, dans le cadre d’un chantier d’insertion.
Originaire de la région de Bucarest, Iustin est installé à Marseille depuis sept ans et privilégie un relogement avec sa famille au sens large – huit adultes et sept enfants. Pourtant, ce père de trois enfants est locataire d’un logement d’insertion dans le quartier de Belsunce, à côté de la gare Saint-Charles (1er arrondissement). Explication de Iustin, très sérieux derrière ses lunettes : « On a besoin d’être ensemble. Il y a des gens qui ne parlent pas français, d’autres qui sont malades, il faut les accompagner. Il nous faut aussi de l’espace pour le travail de ferraille. »
Rencontrés quelques jours plus tard, Élena, la voisine de Iustin, et Vasil ont de leur côté mal vécu leurs passages en appartement. Installé avec frères, femmes et enfants au deuxième étage de l’entrepôt, Vasil travaille en chantier d’insertion dans les quartiers nord, à l’entretien des espaces verts de la cité Kallisté. Il est en attente d’un appartement, mais sans enthousiasme : « J’en ai eu un il y a sept ans, mais avec les dealers c’était impossible. »
Arrivée en France en 2014, Élena a, elle, fini par quitter le sien, cité de la Busserine (14e arrondissement). « Avec le « voisinage », ce n’était pas possible de rester pour les enfants », explique aussi cette trentenaire souriante aux cheveux tirés en arrière qui refuse aujourd’hui « d’habiter dans les quartiers nord ». « Avec notre travail, on tourne dans la ville et on connaît les quartiers dangereux et ceux dans lesquels on peut se balader », explique Iustin. Il y a aussi les réactions violentes du voisinage lors d’installation de camps, alimentées parfois par des élus, et les violences tout court. À l’été 2016, un camp a été attaqué au cocktail Molotov…
Construire un avenir durable
« Les relations intrafamiliales sont les premiers remparts à la précarité », rappelle Guillemette Cauliez, une bénévole d’ATD Quart Monde, qui assure tous les samedis une bibliothèque de rue dans le bidonville. Avant d’insister : « Il est important de construire des solutions pérennes pour ne pas reproduire les difficultés des squats et arrêter de casser ce qui se construit, sinon ça les faits reculer. » En tête, ces enfants qui, passant d’un bidonville à l’autre, finissent par abandonner l’école.
L’association, dont les bénévoles accompagnent les familles parfois depuis sept ou huit ans, s’est emparée de la question du relogement des habitants des quatre squats de Cazemajou en début d’année. La synthèse, que le Ravi a pu consulter, identifie deux options : « les familles [qui parlent français] dont le père a un travail comme dans la logistique aspirent à un appartement, accueillant parfois plusieurs générations » ; « les familles [qui parlent pas ou peu français et] travaillant dans la ferraille souhaitent généralement vivre dans un squat avec la famille élargie, la proposition de vivre sur des terrains familiaux aménagés, disposant de conteneurs/mobil-home et de sanitaires, les intéresse. »
C’est aujourd’hui la solution privilégié par Iustin et ses voisins. Le ferrailleur s’intéresse aux différentes expériences de relogement, s’enthousiasme sur celle dont les personnes ont construit leur habitat dans le cadre d’un chantier d’insertion, imagine des lieux divisés en plusieurs espaces (de vie, de jeu, de travail…) et recense les terrains. Évidemment loin du quartier. « L’idéal serait d’y rester parce que ça se passe bien avec les voisins et que les enfants s’y sentent bien, mais on sait qu’Euromed arrive et va tout raser », explique fataliste le père de famille. À deux pas du bidonville, Nexity annonce déjà un programme immobilier. Pas vraiment pensé pour les habitants du quartier.