Habitat indigne : péril toujours grave mais moins imminent !
En cette période de Covid, c’est comme se retrouver sous respirateur artificiel. Fin juillet, dès son premier conseil municipal, Michèle Rubirola, la nouvelle maire EELV de Marseille, et sa majorité de gauche ont alloué 20 millions d’euros à l’habitat indigne, dont 10 millions pour le parc privé. Un de leurs (nombreux) chevaux de bataille pendant la campagne des municipales. Et un sujet sur lequel ils sont très attendus depuis la mort de huit personnes dans l’effondrement de deux immeubles de la rue d’Aubagne le 5 novembre 2018.
Depuis la rentrée, Patrick Amico, le nouvel adjoint au logement et à l’habitat indigne, a donc rencontré les agents de la direction de la gestion des risques (DPGR) et un marché à bons de commande de travaux d’office a été lancé, pour pallier les propriétaires défaillants. Un outil d’intervention que les équipes attendaient depuis plus d’un an… « C’est plutôt une bonne orientation, ça va permettre un accompagnement plus constructif », commente-t-on à la FSU, le deuxième syndicat de la ville, où on apprécie le changement de majorité : « Le service commence à tourner, il y a une nouvelle impulsion, une vraie feuille de route et on travaille plus sereinement. » Mais de prévenir : « On est toujours en convalescence. »
Enthousiasme mesuré
De fait, à la ville comme chez les militants on reste prudent. Même le CV du nouvel adjoint, ingénieur bâtiment-génie civil de formation et actuel président du directoire d’IFC, le bailleur social de la SNCF, ne soulève pas les foules. « Il a beaucoup de bonne volonté et de bonnes intentions, mais ce sont toujours les mêmes responsables qui sont en place », note un cadre de la ville, sous couvert d’anonymat. « Le marché est critiquable, on est à un peu plus de 2,5 millions d’euros, loin des 10 millions annoncés, et il n’y a pas de seuil, ce qui peut ne pas motiver les entreprises et le rendre infructueux », juge de son côté Emmanuel Patris, coprésident d’Un centre ville pour tous (UCVPT), une association très active sur les questions d’habitat et d’urbanisme sur le centre ville de Marseille. Qui s’étonne aussi qu’il n’y ait toujours pas eu de rencontre entre la nouvelle majorité et les collectifs qui luttent sur les questions d’habitat.
Autre crainte, la mauvaise volonté de la métropole. « La question est de savoir qui a la main sur ses outils en matière de logement et d’habitat indigne, insiste Patrick Lacoste, également d’UCVPT. La délégation sur ces deux domaines a été donnée à un maire du Pays d’Aix qui a créé six logements sociaux sur sa commune, et la présidence du bailleur social de la ville, Habitat Marseille Provence, a été offerte à un Aixois. »
Réponse de Patrick Amico, qui se veut lui rassurant : « On peut regretter qu’il n’y ait toujours pas de Plan local de l’Habitat métropolitain pour des raisons politiques mais nous avons décidé de garder les pouvoirs de police du maire, comme l’autorise la loi. Ça nous permettra de travailler en amont sur l’habitat indigne et de garder un lien de proximité avec la population », développe l’adjoint au logement de Michèle Rubirola. Et de poursuivre : « Par contre, et même si nous ne partageons pas toujours la même analyse, je n’ai aucun problème pour discuter avec les techniciens et certains vice-présidents de la métropole, ce que nous faisons sur la mise en place de dispositifs mutualisés de relogement des personnes évacuées. »
Même tonalité sur l’enveloppe attribuée aux travaux : « On peut en plus mobiliser les marchés d’autres services, comme celui des architectes. » Et Patrick Amico d’assurer : « La direction s’étoffe, mais manque toujours de techniciens. Une quarantaine de recrutements ont été lancés, des agents spécialistes de l’insalubrité et des architectes. »
« On a tous applaudi, mais… »
Une annonce qui devrait rassurer dans le service « Sécurité des immeubles. » En avril dernier, les architectes qui réalisent la première expertise après un signalement avaient interpellé par courrier l’ancien maire de Marseille et son cabinet, comme l’avait révélé le Ravi. Ils y dénonçaient un manque de moyens humains et matériels avec pour conséquences « 2 600 signalements d’immeubles sous suspicion de péril en attente » et « 80 immeubles en péril grave et imminent non suivis ». Une interpellation qui avait reçu comme seule réponse une enquête de l’inspection générale des services pour trouver les coupables de la fuite et l’installation d’un nouveau directeur (lire notre article).
Résultat, certains agents du service sont toujours en souffrance. « Ils doivent se battre contre leur hiérarchie alors qu’ils devraient le faire contre des syndics ou des propriétaires véreux, dénonce un ancien du service. On a tous applaudi en juillet, mais les signaux tardent, alors qu’il y a de grosses attentes et qu’il manque toujours d’une véritable stratégie sur les 40 000 logements indignes recensés sur Marseille, un chiffre désormais partagé. »
Si du côté de la FSU, on promet que « les dissensions se sont apaisées », Patrick Amico est plus prudent. « Je ne pense pas qu’il y ait de chasse aux sorcières, mais il y a un sous-effectif donc des gens surchargés, qui travaillent dans des conditions difficiles et qui sont confrontés à des situations difficiles », estime l’adjoint au logement et à l’habitat indigne. Et de souffler : « Dans mon mandat, mon problème c’est de faire prendre conscience à l’administration de mettre les moyens de faire face, d’affronter une situation énorme, que personne n’imaginait. » Une de plus…