Airbnb : l’offensive en demi-teinte
Au placard le propriétaire Airbnb et ses quarante annonces ? Pas certain. Depuis un an, Marseille affiche sa volonté de prendre les choses en main. La ville veut agir sur les propriétaires aux biens multiples. Première étape votée en mai dernier et en vigueur depuis octobre : dorénavant, il n’est possible de proposer à la location, en plus de sa résidence principale, qu’une résidence secondaire. Encore faut-il pouvoir le vérifier ! Deuxième étape : depuis le 16 février, un numéro d’enregistrement est désormais obligatoire. Airbnb, sous peine de sanctions, impose aux loueurs marseillais de s’enregistrer auprès de la mairie. « Ça moralise un peu le jeu », explique Patrick Amico, l’adjoint du Printemps marseillais en charge du logement, « et on peut commencer à contrôler ».
Le numéro permet pour les nouvelles demandes de changement d’usage – exigées quand il s’agit d’une résidence secondaire – de s’assurer qu’il n’en existe pas d’autres. Surtout, il contraint Airbnb à communiquer, d’ici un an, les données qu’elle s’est engagée à divulguer, suite à la loi Elan (2018). « Les collectivités ont ensuite été libres de la faire appliquer », précise Patrick Amico, très critique à l’égard du laisser-faire de l’ex-municipalité où les propriétaires pouvaient, outre leur résidence principale, louer jusqu’à six résidences secondaires (sans compter les dérives en l’absence de véritables contrôles). Pour l’heure, « les dispositifs de contrôle n’étant pas assez lourds », du propre aveu d’Amico, pour vérifier les demandes d’enregistrement (6 000 en février), seules les futures données permettront un encadrement plus systématique. Une fois obtenues, l’équipe municipale, aux modestes effectifs, chargée d’étudier les changements d’usage au sein de la direction du logement, « se musclera », promet l’adjoint.
« Ça moralise un peu le jeu »
La loi reste souple. Au-delà de 120 jours de location, les propriétaires peuvent toujours proposer leur résidence principale sur Airbnb en déclarant un changement d’usage. Tout en louant leur résidence secondaire. « On n’est pas là pour bloquer brutalement tout le monde », souligne Patrick Amico, revendiquant à la fois une rupture avec la politique de Jean-Claude Gaudin et la volonté de favoriser l’attractivité touristique du centre-ville, à laquelle Airbnb contribuerait. « Les meublés de tourisme correspondent à un besoin, poursuit l’adjoint au logement. Sur le fond, ce n’est pas condamnable. »
Entre 2016 et 2020, sur les enregistrements qui ont abouti, 80 % concernaient des résidences secondaires. Alexandre Gondreau, géographe spécialiste de l’urbanisme, a étudié l’Airbnbisation à Marseille. Selon lui, sur les 16 000 offres environ disponibles, plus d’un quart rapportent aux loueurs au-delà de 5000 euros par an. Tous ne correspondent certainement pas aux profils cités par Amico : « l’héritage du grand-père, le studio étudiant du gamin ou la résidence au fond du jardin… »
Le Printemps marseillais a calmé le jeu – en faisant progressivement plier les loueurs à la règle – mais semble bien démuni face à la mise en tourisme de certains quartiers. « Ce phénomène existe de manière évidente, admet Laurent Lhardit, en charge du tourisme durable, notamment au Vallon des Auffes. » Alexandre Grondeau y voit une « évolution sociologique des lieux ». Selon le géographe, « la mise en hôtel », accélérée par Airbnb, d’un quartier comme le Panier – anciennement très populaire – a engendré « sa transformation commerciale » et « un déplacement continu des autochtones », faute de pouvoir s’aligner sur les loyers qui grimpaient…
Federico Brivio, habitant de la Plaine, fait le même constat. Au moment de sa rénovation en 2018, « les pouvoirs publics parlaient de monter en gamme », raconte-t-il. Avec d’autres, il a voulu, « s’auto-former » sur la gentrification par le tourisme dont pour lui « le vrai levier a été la liberté accordée à Airbnb » jusqu’à sa régulation. Il reconnaît l’effort de la mairie, mais « il ne faudrait pas seulement agir sur les propriétaires mais plutôt établir des quotas en fonction des quartiers, puis rééquilibrer avec des HLM ».
Autre effet relevé par Alexandre Grondeau : « Airbnb constitue pour beaucoup un complément sur un bien déjà mis en location », les propriétaires louant neuf mois pour les étudiants et en Airbnb l’été. Contactés par le Ravi, le président de l’Union des syndicats de l’immobilier, Nicolas Rastit, pour qui Airbnb est « une fausse problématique », et le vice-président Jean Berthoz n’ont pas pu – ou souhaité – communiquer sur les taux de rotation locative étudiante. Pour plus de transparence, il faudra encore patienter…